jeudi 16 avril 2009

Une vie Française (de Jean-Paul Dubois)

Bonjour aux français(es)
Bonjour aux zotres


Vous connaissez la fatalité bibliophilique : plus on lit de critiques excellentes voire dithyrambiques à propos d'un roman, plus on risque d'être déçu(e) lorsqu'on l'ouvre enfin soi même. Ce phénomène murphyque (j'en profite pour vous encourager à continuer à jouer au jeu idiot d'avril) ne s'est pas produit avec Une Vie Française que j'ai beaucoup aimé. Sans partager l'enthousiasme débordant de certain(e)s, j'ai vraiment été conquise par ce récit efficace et bien écrit.

Le sujet

En quelques chapitres portant les noms des présidents de la 5e république, Jean-Paul Dubois dresse le portrait de Paul Blick, un homme profondément de son époque mais pas si français moyen que ça.

Mon avis

Quand j'ai sélectionné ce livre parmi les 5 soumis à vos votes dans le cadre de mon challenge de lecture d'avril, j'étais quasi certaine que vous alliez le choisir mais je ne m'attendais pas à cette écrasante majorité digne d'une élection de Jacques Chirac en 2002 ! Mais je comprends tant ce livre a tout pour plaire et correspond pour moi à l'archétype du roman (au sens de "récit romanesque") réussi tant sur le fond que la forme.

D'abord, condition essentielle pour ne pas dire primordiale voire nécessaire pour moi, ce livre est bien écrit. Le style est fluide, mêlant habilement émotion et humour, légéreté et réflexion.

Ensuite, la vie de Paul Blick est à la fois très classique (un mariage, des enfants, des relations familiales diverses et variées, une maîtresse de temps, des opinions politiques, une conviction à propos de la religion, un avis sur la guerre, etc.) et plutôt intéressante surtout qu'à travers cette vie (le mot destin serait trop fort), l'auteur nous montre à travers le petit bout de la lorgnette différents moments choisis de notre histoire et l'évolution de notre société. Ce portrait pointilliste de la France et cette critique sans concession du pouvoir et de ceux qui l'exerce est plutôt réussie.

Enfin, Paul Blick partage avec moi certaines positions assez tranchées et un brin désabusées sur la vie de couple et une certaine allergie à la notion même de religion. cela dit, même quand je ne partage pas ses opinions (politiques), son avis m'intéresse. J'aurais, par exemple, adoré que le roman se poursuive au delà de 2006 et connaître l'avis de Blick sur ce nouveau quinquennat, la crise, l'élection d'Obama, la crise, tout ça quoi...

Tout cela pour dire que Paul est un homme qu'on a envie de découvrir, de connaître et dont les défauts même (une certaine mollesse et une passivité certaine déjà perçues chez le héros de "Vous plaisantez Monsieur Tanner") participent à la construction d'une personnalité attachante, profondément humaine et authentique qui contribue largement à la réussite de ce roman habile jusqu'à décrire parfois des moments isolés sans le moindre effet sur le déroulement global du récit (les photos dans la salle d'eau en Roumanie par exemple) parce qu'on fait tou(te)s à un moment ou un autre des choses parfaitement gratuites et sans importance que l'on garde pourtant en mémoire.

En dépit de l'indéfectible humour de l'auteur, ce livre n'est pas d'une folle gaité et, derrière le vernis de la normalité sociale il émane des pages de Dubois une puissante impression de solitude, d'inadaptabilité, d'incompréhension face aux événements de la petite et de la grande histoire et la certitude qu'à aucun moment Paul Blick n'a choisi sa vie et qu'il s'est au contraire laissé mener par elle, par les événements et par la présence et même l'absence de celles et ceux qui l'entourent.

Cette vie française est potentiellement l'occasion d'une réflexion sur la nôtre, sur les faits saillants ou les anecdotes ténues qui la jalonnent, sur les émotions ressenties, les déceptions subies, les espoirs comblés ou déçus, les hasards heureux ou malheureux, qui n'intéresseraient personnes à moins d'être transcendés par la plume d'un auteur aussi talentueux que Jean-Paul Dubois capable de donner corps à un récit fin, humain, authentique.

Quelques extraits

Le roman démarre par le décès de Vincent, l'aîné de Paul de 2 ans
La mort de Vincent nous a amputés d’une partie de nos vies et d’un certain nombre de sentiments essentiels. Elle a profondément modifié le visage de ma mère au point de lui donner en quelques mois les trais d’une inconnue. Dans le même temps, son corps s’est décharné, creusé, comme aspiré par un grand vide intérieur. La disparition de Vincent a aussi paralysé tous ses gestes de tendresse. (…) Oui, après 1958, le bonheur nous quitta, ensemble et séparément, et, à table, nous laissâmes aux speakers de la télévision le soin de meubler notre deuil. (P.14/15)

Premier amour-pour-toujours
Nous nous étions rencontrés sur la plage de Brighton et nous avions immédiatement décidé de faire notre vie ensemble sans même nous en parler tant à quinze ans ces choses-là se voient au premier coup d’œil. (P.44)

Le rival (forcément nul !)
Il n’y avait aucune sophistication, pas la moindre cohérence dans ses choix [musicaux]. En réalité, il possédait autant de discernement qu’un juke-box. A part cela, il adorait le ski en hiver, la voile en été, les voitures de sport, et, en toute saison, les filles qui vont à l’intérieur. (P.128)

La frustration sexuelle au sein du couple
J’ai souvent été frappé par l’acharnement avec lequel des gens éduqués, raisonnables et intelligents s’ingéniaient à gâcher leur vie sexuelle en s’appariant durant des décennies avec un partenaire lui aussi affectueux, talentueux et brillant, mais doté d’une horloge biologique et sociale qui jamais ne s’accorde avec celle de son conjoint. Et malgré cette incompatibilité, le couple asynchrone s’accroche, se débat dans la glu de l’impossible, la vase des frustrations, niant l’évidence. Quand François Milo employait son énergie à vendre des moyens porteurs à Aer Lingus, Laure rêvait de cunnilingus. Et pourtant ils continuaient de vivre dans ce no man’s land mutique et asexué où ils élevaient leurs enfants, regardaient la télévision, partaient en vacances et achetaient des automobiles familiales à crédit. (P.193)

La religion
J’ai toujours été athée et la religion, quelle qu’elle soit, n’est pas pour moi un concept négociable. Partout, j’ai vu la vermine de la croyance et de la foi grignoter les humains, les rendre fous, les humilier, les rabaisser, les ramener au statut d’animaux de ménagerie. L’idée de Dieu était la pire des choses que l’homme eût jamais inventées. Je la jugeais inutile, déplacée, vaine et indigne d’une espèce que l’instinct et l’évolution avaient fait se dresser sur ses pattes arrière mais qui, face à l’effroi du trou, n’avait pas longtemps résisté à la tentation de se remettre à genoux. De s’inventer un maître, un dresseur, un gourou, un comptable. Pour lui confier les intérêts de sa vie et la gestion de son trépas, son âme et son au-delà. (P.218)

Conclusion

Un très bon roman et un prix Fémina 2004 amplement mérité !
Un autre avis positif pris au hasard sur un blog que je ne connaissais pas parmi les 3 tonnes de louanges qui inondent la blogosphère.

6 commentaires:

ficelle a dit…

Ah ! Tu vois, on a eu raison de voter pour lui… Tu devrais aimer ces chroniques sur les USA, toi qui voyages. (je l'ai peut-être déjà dit, voilà que je radote…)

céline a dit…

J'ai aussi beaucoup apprécié ce titre, tu décris d'ailleurs très bien l'ambiance et le héros, je me suis replongée dans le roman en lisant ta note !

liliba a dit…

Je ne l'ai pas encore lu, mais cela ne saurait tarder car il est dans ma biblio tournante de copines (qui n'accrochent pas, pour l'instant). J'avais bien aimé Monsieur Tanner (gentillet) qui m'avait rappelé la période travaux à la maison... l'horreur !

deparlà a dit…

ben moi, non , je n'ai pas aimé, je l'ai même laissé tomber, trop tristoune, à l'image de ces tapisseries marronasses aux grands ronds ovoïdes en vogue de ces années 70 qui ont rapidement vieillies .. :-(

Cécile Qd9 a dit…

@ Ficelle : moi qui voyage c'est excessif... mais moi qui connais pas trop mal les USA et les américains (enfin, ceux des villes) serait + proche de la vérité :o)

@ Céline : Merci c'es un beau compliment que tu me fais là

@ Liliba : ah zut, je croyais que c'était toi qui avait commenté "beurk" (en résumé) à propos de ce livre. Je confonds donc.

@ Deparlà : certes ce n'est pas gai mais j'aime bien cette atmosphère en littérature...

Cécile Qd9 a dit…

@ deparlà : j'aime bien aussi le côté un peu vieillot que tu reproches au livre et qui, je trouve, colle bien à l'époque évoquée... Bref, j'ai été sensible à la peinture de Dubois