jeudi 27 décembre 2012

Que font les rennes après Noël ? (de Olivia Rosenthal)

Bonjour au Père Noël
Caresses à ses rennes
Coin-coin sur le nez rouge de Rudolph
Bonjour au Père Noël

Je suis certaine que beaucoup parmi vous se sont un jour demandé ou se demandent encore ce que font les rennes après Noël. Moi jamais avant que Anne ne me prête le roman de Olivia Rosenthal qui porte ce titre.
Ici, image à l'appui, j'avais déjà évoqué une possible reconversion du Père Noël en boucher-charcutier. J'en arrive maintenant à soupçonner que le renne entre dans la composition de certaines des recettes de son blog (a priori dans la catégorie "Grandes tablées" plutôt que "George Clooney à ma table").

4e de couverture

«Vous aimez les animaux. Ce livre raconte leur histoire et la vôtre. L'histoire d'une enfant qui croit que le traîneau du père Noël apporte les cadeaux et qui sera forcée un jour de ne plus y croire. Il faut grandir, il faut s'affranchir. C'est très difficile. C'est même impossible. Au fond, vous êtes exactement comme les animaux, tous ces animaux que nous emprisonnons, que nous élevons, que nous protégeons, que nous mangeons. Vous aussi, vous êtes emprisonnée, élevée, éduquée, protégée. Et ni les animaux ni vous ne savez comment faire pour vous émanciper. Pourtant il faudra bien trouver un moyen.» Olivia Rosenthal.

3 précisions sur la forme du livre

Le roman est rédigé à la 2e personne du pluriel et, contrairement à d'autres récits composés de la sorte, cela ne semble aucunement artificiel ici. Au contraire, cela sert le propos quasi ethnologique ou zoologique du récit.

Le roman est une suite de courts paragraphes où alternent des observations et commentaires sur les animaux d'une part et des bribes de récit sur la vie d'une femme de l'enfance à l'âge adulte.

Chaque chapître évoque un animal ou une famille d'animaux différent et chacun aborde le récit sous un angle précis, une sorte de thème qui sert de fil conducteur à l'auteur pour évoquer son passé, son éducation, sa lente émancipation. Ainsi, certaines phrases se répètent un temps puis se répondent pour conclure les paragraphes du récit "humain". Par exemple, "vous vous imprégnez" puis "vous êtes imprégnée" ou encore "vous ne savez pas comment vous y prendre", "vous apprenez", "vous trahirez".

Mon avis

La première chose qui vient à l'esprit quand on commence la lecture de ce livre est d'en louer son originalité.
La deuxième est de se demander si l'auteure tiendra la distance.
La troisième est de savoir si on ne se lassera pas avant elle !
Heureusement, les réponses aux questions 2 et 3 sont respectivement "oui" et "non". Il faut dire que le roman fait un peu plus de 200 pages aérées.
Je retiens donc l'audace du parti pris, le cadre formel qui en résulte absolument pas gratuit mais au contraire, au service d'une analyse intelligente.

On apprend des trucs sur les animaux (ce qui ne gâche rien) et on suit avec intérêt l'évolution de cette enfant introvertie, secrète, visiblement en attente et en souffrance, à la recherche d'elle-même et rêvant d'une fuite, d'un envol avec les rennes du Père Noël puis l'âge venant, se demandant quelle peut être la voie de l'indépendance, de l'accord avec soi-même.
 
2 liens

Une intéressante critique sur Epagine
Un coup de coeur pour Antigone qui cite l'extrait suivant

2 extraits

Lu chez Antigone

On vous a dit que le bonheur avait un coût, vous acceptez cette idée, mais malgré vos faibles compétences en arithmétique et en économie, vous avez parfois l'impression que le coût est supérieur au bénéfice. Vous n'arrivez pas à distinguer avec certitude ce que vous devez et ce qui vous est dû, vous avancez à l'aveugle, vous êtes liée par un contrat dont vous ne connaissez pas les termes exacts et qui s'applique à vous de l'extérieur. Vous peinez à vous dégager, à vous connaître, à vous appartenir. Vous êtes bien élevée.

Pages 95 à 97 - Un enchaînement révélateur et non dénué d'humour

Une femelle orang-outan vit avec sa mère jusqu'à l'âge de cinq ans et rester dans son entourage proche jusqu'à six ou sept ans, âge qui correspond à sa première portée. Elle ne quittera définitivement sa mère qu'après avoir appris auprès d'elle comment mettre bas et comment allaiter. Si la chaîne de l'apprentissage de l'imitation est rompue, la femmelle orang-outan ne saura pas élever son petit. Elle expulsera le nourrisson sans comprendre et ne s'intéressera pas à lui et, sans intervention humaine, le petit orang-outan mourra de faim en poussant des cris déchirants. On lui donnera le biberon sous l'oeil de sa mère, en espérant que ce geste réitéré derrière une vitre de protection servira de leçon, de trace et de mémoire à une femelle qui a été privée de la sienne et que renouvelle cette privation en gardant son nouveau né à bonne distance d'elle.

Vous espérez qu'il ne vous faudra pas rester avec votre mère jusqu'à la naissance de votre premier enfant. En même temps vous ne faites rien pour que les choses changent. Vous ne quittez votre chambre qu'à l'heure des repas. Vous ne fermez toujours pas votre porte, vous vous arrangez pour que tous vos gestes soient parfaitement contrôlés et qu'on ne puisse rien vous reprocher. Vous ne recevez aucune visite. Seuls les membres de votre famille entrent sur votre territoire. Vous vous impregnez.

Comme je ne trouvais pas de solution pour que la femelle orang-outan apprenne à s'occuper de son petit après avoir mis bas, j'ai proposé de lui passer des films où une autre femelle allaiterait son nouveau-né. (...) C'était tout à fait envisageable, on l'a déjà expérimenté avec les chimpanzés qui savent allumer les radios et mieux encore qui, si la réception est brouillée, tournent le bouton jusqu'à ce qu'une voix humaine soit parfaitement audible. Le cinéma, la radio et la télévision ont pour les singes comme pour les hommes des vertus pédagogiques.

Après le repas, vous restez devant le petit écran avec vos parents. Vous les laissez choisir les programmes que vous regardez sans même avoir envie de juger de leur qualité. Vous intensifiez votre passivité. Lentement mais sûrement, vous vous imprégnez.

Conclusion

Une lecture atypique et fort intéressante

4 commentaires:

zarline a dit…

Avec un titre pareil, je pensais que le livre allait être déluré, genre Jon Riel. Ayant de la peine avec ce dernier, je suis plutôt surprise en bien des extraits mais sur 200 pages... Pas sûre d'accrocher.

Cécile Qd9 a dit…

@ Zarline : j'avais cette même crainte mais le livre est suffisamment court et l'auteure suffisamment douée pour que ça passe comme une lettre à la poste

Mangolila a dit…

J'avais écarté ce titre de mes lectures. Il ne me tentait pas, je ne sais plus trop pourquoi mais ton billet me fait changer d'avis et m'intrigue même. Je l'ajoute à ma liste.

antigone a dit…

Merci pour le clin d'oeil !!
Je conserve un excellent souvenir de cette lecture. Heureuse de voir qu'il poursuit son chemin sur les blogs !! ;)