vendredi 6 novembre 2009

La haine de la famille (de Catherine Cusset)

Bonjour à celles et ceux qui haïssent leur famille
Bonjour aux à celles et ceux qui l'aiment
Bonjour aux zotres


Annie Ernaux, Catherine Cusset et Christine Angot ont deux points communs apparents :
- ce sont des femmes (mais ça, en l'espèce, on s'en fout),
- toutes les 3 écrivent des romans très personnels à la limite de l'autobiographie et de l'autofiction.

Tout le monde n'est pas horripilante comme Christine Angot, heureusement pour Catherine Cusset. Tout le monde ne parvient pas comme Annie Ernaux à ce que le personnel touche à l'universel, hélas pour Catherine Cusset.


Le contexte

Le moins que je puisse dire est que Catherine Cusset ne me laisse pas indifférente. Jusqu'ici j'ai détesté deux de ses romans (Les confessions d'une radine et Jouir) et j'en ai adoré deux zotres (A vous et surtout Le problème avec Jane qui ferait vraisemblablement partie de mon top 100 de romans francophones si je décidais un jour de perdre mon temps à le constituer : faites gaffe, je me connais, j'en suis capable). La Haine de la famille est donc le 5e roman que je lis d'elle et je comptais sur ce nombre impair pour trancher entre le pour et le contre, le pire et le meilleur.

Lorsque j'avais rencontrée l'auteure au dernier salon du livre, au vu de ce que j'avais aimé et pas aimé d'elle, elle m'avait justement conseillé La haine de la famille en m'affirmant qu'il me plairait. Elle n'avait pas tort mais pas complètement raison non plus.

Les éloges

Je vais tenter de démêler tout ça en commençant par un point purement subjectif qui n'est sans doute pas sans impact sur les comparaisons que je peux être tentée de faire entre Ernaux et Cusset. Je reconnais que le processus d'identification joue à fond en faveur d'Ernaux : son héroïne me ressemble, sur le plan sociologique et familial tout au moins, sur le plan intellectuel et moral aussi à certains égards (à d'autres pas du tout : je ne suis pas jalouse). Cela implique nécessairement que les histoires d'Ernaux me touchent plus mais si je sais le reconnaître, je sais aussi faire la part des choses : ma préférence pour Ernaux ne vient pas que de là.

Dans La haine de la famille, j'ai retrouvé les ingrédients qui m'avaient plu dans Le problème avec Jane : une construction très américaine, non chronologique et très analytique, un récit démontrant sans ostentation l'intelligence et la culture de l'auteure, une écriture agréable, fluide au service d'un récit intéressant et dense.

Cela dit, les éloges s'arrêtent là (mais c'est déjà énorme !) et laissent place à, disons, 9 % de vrais reproches (sans lesquels les louanges précédentes seraient de peu de poids).

Les bémols

En lisant les confidences d'Angot, j'avais souvent envie de dire "on s'en fout" ou "quelle névrosée" (ou pire mais bon).
En lisant les confidences d'Ernaux, j'avais souvent envie de dire "quelle admirable justesse dans la description et dans l'analyse de la situation".
En lisant les confidences de Cusset, j'avais souvent envie de dire "cela ne nous regarde pas".

Et là, j'en reviens à mon préambule et à un élément plus objectif de ma critique : alors qu'Ernaux parvient systématiquement donner une dimension universelle à ses récits nés de l'observation d'un cas particulier (le sien), à mon avis, dans La haine de la famille (lapsus intéressant, j'ai tout d'abord écrit "La haine de sa famille"), Cusset ne parvient jamais à dépasser le cadre de la stricte cellule familiale et encore moins à généraliser son propos.

C'est peut-être (sûrement) voulu, mais ça m'a gênée et à plusieurs reprises je me suis demandée comment sa mère ou son père ou sa sœur avaient pris tel ou tel passage, telle ou telle remarque, question que je ne me suis jamais posée en lisant Ernaux et qu'à mon avis, un(e) lecteur/trice de roman ne devrait pas être amené(e) à se poser.

Maintenant elle trompe peut-être son monde à 100 % et sa famille ne ressemble peut-être en rien à ce qu'elle décrit mais j'en doute : il y a trop d'elle dans le personnage de la fille cadette, trop de recoupements possibles avec d'autres romans et trop de finesse dans les détails relatés pour que le reste de la famille soit totalement fictif (sinon chapeau pour l'effort créatif !).

J'ai parfois eu l'impression que le roman tournait au règlement de compte. Je sais bien qu'il s'intitule "La haine de la famille" et pas "La famille c'est plus doux que les Bisounours" mais tout de même… En fait, ce n'est pas la dureté de ce qui est écrit qui me gêne, c'est l'angle éminemment affectif choisi par l'auteure que l'on sent au bord de l'auto-analyse.

Chez Ernaux, on sent que les idées ont été longuement digérées, polies, épurées, avant d'être couchées sur le papier, du coup on n'est plus dans le ressenti mais dans le factuel, dans le dépouillement maximum d'affects personnels et c'est le fait qu'Ernaux dépersonnalise au maximum son histoire qui fait qu'elle est paradoxalement si chargée d'émotions pour le/la lecteur/trice qui, du coup, peut se l'approprier. C'est parce qu'Ernaux s'efface qu'elle donne tant de chair à ses personnages avec une telle économie de mots.

Chez Cusset c'est l'inverse. On nage dans l'affect personnel, l'écriture est bavarde, descriptive et uniquement à charge, on pourrait presque la qualifier "d'écriture noire" en référence à l'appellation "d'écriture blanche" souvent utilisée pour Ernaux. Et c'est justement parce qu'on sent à chaque page l'implication personnelle de l'auteure que l'on ne ressent à la lire qu'un brillant exercice analytique et intellectuel autocentré et donc excluant. En outre, je défie quiconque d'avoir envie de faire connaissance avec les personnes évoquées dans le roman.

Je ne sais pas si c'est très clair et puis j'avoue que je pinaille, c'est vraiment un très bon bouquin ! J'ai trouvé que les pages les plus intéressantes étaient les plus digressives, celles qui sortaient de la salle à manger parisienne ou de la maison bretonne pour se frotter avec l'histoire et les pages que Cusset consacre au judaïsme et à la Shoa sont mes préférées.

Les passages que j'aime le moins en revanche, sont les restitutions d'ébauches de dialogues, des échanges raisonnables sur des sujets qui ne le sont pas. En fait, j'ai été mal à l'aise devant l'évidente froideur des rapports, devant l'absence d'émotion et d'affection (j'ai presque envie de dire d'humanité) qui transparaît dans ces échanges. C'est peut-être ce manque qui explique le trop plein d'affect et le manque de recul de Cusset par rapport à son sujet.

Conclusion

Que vous adoriez ou détestiez votre famille, vous aimerez haïr celle de Cusset et vous lirez son livre avec plaisir.
Ici une critique que je trouve intéressante.
J'ai rédigé quelques zotres critiques de Cusset et Ernaux via le
répertoire des auteur(e)s

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette étude est passionnante et me donne bien envie de lire ce livre! La comparaison entre ces trois romancières, au détriment d'Angot, me plaît beaucoup aussi!
Mango

Cécile Qd9 a dit…

@ Mango : merci !

mazel a dit…

pas vraiment tentée par ce livre... il faut déjà que je lise "le problème avec Jane" qui est toujours en attente...
Pour Angot, pas de risque d'en avoir un en attente... m'insupporte !
bises Cécile, et merci pour ce très bon article.
bonne journée (de pluie)

Cécile Qd9 a dit…

@ Mazel : la pluie est capricieuse : je quitte Bordeaux aujourd'hui au lieu de demain à cause d'elle mais à peine la décision était-elle prise que le soleil s'eszt mis à briller (autant dire à me narguer !!!) rendant le port du tee-shirt (sans pull) obligatoire.

liliba a dit…

Un livre que j'ai très envie de lire bien que je n'ai pas aimé le précédent. Quand à Angot, jamais lu...

ficelle a dit…

Je suis en train de finir un livre d'une auteur irlandaise Nuala O'Faolain, J'y suis presque, dans lequel elle parle très justement de ce thème-là. Elle a connu un grand succès, surtout aux USA, avec un livre dans lequel elle raconte Ses Mémoires et donc sa famille. Des années plus tard, elle se penche là-dessus : parler de soi ainsi, et de ses proches. Ce que ça fait aux proches, et surtout pourquoi/comment les lecteurs adhèrent à l'auteur sur des choses si personnelles… Elle, elle parle d'une "musique" qui serait commune à celui qui écrit et à celui qui lit, et que les mots seraient presque secondaires. Elle dit aussi qu'écrire sur soi permet de survivre à ce qu'on transporte,de mettre à distance ponctuellement ce qui fait mal ou qui encombre.
Bref.
Je vais donc terminer en prenant la défense de Christine Angot, dont la musique me touche justement alors que je n'ai rien en commun avec le fond de ses confidences. Même si j'ai trouvé que Le marché des amants (que j'ai lu en poche il y a un mois) était un peu moins bien écrit, moins exigeant au niveau de la phrase, j'ai encore été embarquée par son flot de sensations, de questions, de peurs, de désirs. Et chez elle, c'est vraiment ça, je me sens prise par sa musique…
J'aime Ernaux aussi beaucoup, et La femme gelée a compté dans ma vie perso. Je n'ai jamais lu Cusset, j'y viendrai donc, et même plus vite que prévu ;-)
Et pour finir, ceux qui aiment ces écritures de femmes, je vous recommande cette Nuala o'Faolain que je viens de découvrir avec J'y suis presque (10/18).
C'était ma contribution "sérieuse" du matin… ;-)

Cécile Qd9 a dit…

@ Ficelle: alléchant ta promo pour cette auteure

céline a dit…

Je n'ai lu d'Angot qu'un titre et j'ai détesté ! A la lecture de "La haine de la famille", j'ai d'abord été un peu sceptique mais la fin m'a beaucoup plu (la partie sur la grand-mère est très touchante je trouve, et sort un peu du règlement de compte...)