lundi 1 juin 2009

Hors Jeu (de Bertrand Guillot)

Bonjour aux fans de jeux TV
Bonjour aux zotres

Cela faisait un moment que je voulais lire ce roman. En fait, depuis que je fréquente régulièrement le blog de son auteur. C'est fait depuis que vous l'avez sélectionné parmi les 5 livres proposés dans le cadre de mon challenge de lecture de mai.

Sujet

Jean-Victor Assalti bosse dans la comm, la pub ou quelque chose comme ça. Jeune loup aux dents longues, il a démarré une carrière brillante et lucrative après une école de commerce. Ce parcours connaît un gros raté le jour où il est licencié par son agence. Il connait alors quelques doutes sur lui-même et son milieu. Les ruptures qu'il vient de subir tant sur le plan sentimental que professionnel lui confèrent une certaine forme de lucidité distantiée sur le côté factice de certaines ambiances, relations, attitudes. Les rapports humains lui apparaissent comme des jeux dont certains (les Dominants) maîtrisent mieux les codes que d'autres (les Dominés). Comme il manque visiblement d'énergie et de confiance en lui pour retrouver sa place au sein de la caste des Dominants, il consacre le plus clair de son temps à La Cible, un jeu télé qu'il est bien décidé à gagner.

Mon avis

Sans mériter un prix littéraire Bertrand Guillot écrit bien, sans doute facilement et cela se sent. Hors Jeu est d'une lecture tout aussi facile, rapide, plutôt agréable malgré une narration beaucoup trop linéaire, factuelle et (donc) superficielle à mon goût.

C'est surtout vrai dans la seconde moitié du roman qui conte par le menu les moindres détails de la sélection, de la préparation et de l'enregistrement de l'émission jeu La Cible. Moi je veux bien, pourquoi pas. Mais surtout pourquoi si cela ne sert aucune mise en perpective, aucune critique construite (positive ou négative) au delà d'une vague métaphore rappelée de temps à autres entre la vie et le jeu (soit) hélas insuffisamment exploité sur le plan analytique. Dommage.

C'est pourquoi j'ai nettement préféré la première moitié du roman où Jean-Victor perd ses repères habituels et se perd à la recherche de solutions. Ses états d'âmes et ses doutes sont bien décrits et on peut reconnaître ici ou là certaines situations vécues. Et c'est justement parce que j'ai vécu plus ou moins certaines d'elles que j'ai reniflé un parfum d'artifice et de facilité. Les soirées qu'il relate ne sont ni si glamour ni si décadentes que ça et un peu plus de recul par rapport au sujet ou moins de précipitation dans l'écriture aurait sans doute permis de faire mieux ressortir le côté pathétique des moments évoqués.

Assalti est un jeune bourgeois assez sage, conforme et pâlichon, loin des personnages cyniques, sulfureux, pathétiques et/ou désabusés qu'on trouve chez Beigbeder, Pille, Jaenada, Rey et quelques autres. Bizarrement, les personnages secondaires semblent avoir plus de relief et de consistance que lui et, au final, on a un peu l'impression de lire une version édulcorée des oeuvres des auteurs précédemment évoqués.

A l'ensemble (agréable je le répète), il manque un point de vue précis et travaillé qui permettrait de dépasser le côté exclusivement descriptif, quasi documentaire du livre alors qu'il y avait véritablement matière pour plus de profondeur.

Quelques extraits

Mon premier acte de manager a été de négocier mon salaire à la hausse. Je n’ai eu aucun mal à obtenir +15% pour un contrat de quatre ans. (…). L’ordinateur s’était assigné le rôle de président de club et m’envoyait régulièrement des messages. Celui-ci par exemple : Les dirigeants trouvent que vous n’avez pas assez d’attaquants dans votre effectif et vous conseillent de recruter. L’avantage avec le virtuel, pensai-je, c’est qu’il suffit d’appuyer sur Echa pour que les dirigeants se taisent. Mais deux matchs plus tard, Cissé se blessait gravement. J’ai compris le message : pour satisfaire le logiciel, cliquer sur OK. La punition me semblait sévère, alors j’ai repris une partie de sauvegarde, et je suis reparti avec Cissé. Mieux vaut une légère entorse à la déontologie qu’une grave entorse à la cheville. (P.31)

En l’absence d’entretiens, l’épreuve matinale des figures imposées s’achevait par le délicat rituel de la boîte aux lettres. Une entreprise qui vous veut ne vous écrit pas, elle vous appelle sur votre portable pour prendre rendez-vous au plus vite. Même les poètes engagés l’ont compris : écrire c’est dire non. (P.98)

Sur la piste, que du beau monde : le gratin de TF1, la crème de la com, le gotha du marketing, quelques stars subventionnées, des journalistes accrédités et un peu de chair à vedettes pour lier la sauce – un troupeau de minettes décolletées et quelques jeunes mecs ultra lookés invités pour l’occasion. A côté de moi une ex-finaliste d’Opération séduction se caressait le nez et se laissait tripoter par un second rôle viril de série policière. Un ancien Queer racontait ses espoirs de carrière solo à une journaliste de Public. Fautes de goût contre fautes de style, figurant officiel contre OS de la com, une brochette de Dominés savamment entretenus dans une illusion de puissance. Les kapos du système. Le casting comme élément central d’une société de castes, me disais-je, accoudé au bar central en sirotant un kir. Avec un turn-over maximum pour donner l’illusion d’un mouvement. (P.111)

Quand je suis arrivé, la salle commençait déjà à se remplir. Ambiance classique de début de soirée : on se fait la bise-ness, on s’embrasse des millions, on s’étreint de vie. L’argent était là, partout, les carnets de chèques dans les poches revolver, on se mélangeait au tarif première classe. Pour la luxure, on irait ailleurs. Ensemble, peut-être. Mais pas tout de suite. (P.141)

Conclusion

La littérature est-elle un jeu ? Un livre agréable, divertissant et vite lu mais un brin léger et pour marquer durablement. Je lirai le 2e roman de Bertrand Guillot.

5 commentaires:

Manon a dit…

Analyse intéressante et sans complaisance - ça me plaît :-) Mais alors, une version édulcorée de Pille, je n'ose pas imaginer la bouillie que ça donne, non, vraiment, ça ne peut pas être si pâlot que ça!

Cécile Qd9 a dit…

On peut aimer ou ne pas aimer Lolita Pille mais dire que c'est édulcoré, là je trouve ça un peu étonnant.

Constance a dit…

Quel dommage, l'idée de départ était alléchante. Je le note quand même pour un moment où j'aurai besoin de légèreté.

Restling a dit…

Ton avis même en demi-teinte me donne envie de lire ce livre. Et peut-être que le fait d'avoir regardé assidument La Cible, à une certaine période de ma vie, n'y est pas étranger. ;-)

Cécile Qd9 a dit…

@ Constance : je maintiens que j'ai aimé ce livre et qu'il se lit très agréablement mais j'aurais aimé plus d'acidité

@ Retling: je confirme que j'ai passé un bon moment à lire ce livre, le côté "demi-teinte" tient plus à des considérations objectives qu'à une quelquonque déception (que je n'ai pas ressentie)