vendredi 13 décembre 2013

Chien Blanc (de Romain Gary)

Bonjour à celles et ceux qui possèdent un chien et qui l'ont dressé pour donner la patte et recevoir des caresses
Bonjour aux zotres


Chien blanc est le premier roman de Romain Gary que j'ai lu il y a bien longtemps. Je me demande si je n'étais pas ado. Tout cela ne nous rajeunit pas mais je préfère me souvenir que ce livre fut une rencontre avec un grand auteur !

Le sujet

En 1968, sur fond de guerre du Vietnam et de mai parisien, Roman Gary qui vit alors avec Jean Seberg en Californie, recueille un berger allemand et s'aperçoit bien vite que l'animal est un "chien blanc" à savoir un chien qui a été spécifiquement dressé pour attaquer les noirs. Avec l'aide d'un noir, il va chercher à déprogrammer l'animal.

Mon avis

Ce livre est important parce qu'il fait réfléchir, parce qu'il analyse la haine, ses causes et son absurdité, parce qu'il transcende l'histoire individuelle quasi anecdotique de ce chien, il touche à l'universel, parce qu'il est étrangement moderne (qu'on soit d'accord ou non avec l'idée développée dans l'extrait sur la "société de provocation" on ne peut nier qu'il aurait pu être écrit hier).

Chien blanc est la fois un pamphlet contre les travers d'une époque, d'une culture mais aussi l'histoire personnelle d'une relation amoureuse et d'un engagement politique et sociétal. En cela, il constitue un témoignage important et empreint d'humanité qui constitue autant un document sociologique et ethnologique (Romain Gary n'est pas américain) qu'un autoportrait attachant d'un homme complexe, intelligent, profondément humaniste.

On ressort forcément un peu grandi(e) d'une telle lecture.

Quelques extraits (merci Babelio pour les 2 longs extraits)

Mes poings serrés proclament surtout l’impuissance des poings.

Je ne devrais pas leur en vouloir : ils ont des siècles d'esclavage derrière eux. Je ne parle pas des Noirs. Je parle des Blancs. ça fait deux siècles qu'ils sont esclaves des idées reçues, des préjugés sacro-saints pieusement transmis de père en fils, et qu'ils ont pieds et poings liés par le grand cérémonial des idées reçues, moules qui enserrent les cerveaux, pareils à ces sabots qui déformaient jadis dès l'enfance les pieds des femmes chinoises. J'essaie de me dominer, pendant qu'on m'explique une fois de plus que "vous ne pouvez pas comprendre, vous n'avez pas dix-sept millions de Noirs en France". C'est vrai : mais nous avons cinquante millions de Français, ce qui n'est pas jojo non plus.

J'appelle "société de provocation" toute société d'abondance et en expansion économique qui se livre à l'exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu'elle provoque à l'assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu'elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. Comment peut-on s'étonner, lorsqu'un jeune Noir du ghetto, cerné de Cadillac et de magasins de luxe, bombardé à la radio et à la télévision par une publicité frénétique qui le conditionne à sentir qu'il ne peut pas se passer de ce qu'elle lui propose, depuis le dernier modèle annuel "obligatoire" sorti par la General Motors ou Westinghouse, les vêtements, les appareils de bonheur visuels et auditifs, ainsi que les cent mille autres réincarnations saisonnières de gadgets dont vous ne pouvez vous passer à moins d'être un plouc, comment s'étonner, dites-le-moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ? Sur un plan plus général, la débauche de prospérité de l'Amérique blanche finit par agir sur les masses sous-développées mais informées du tiers monde comme cette vitrine d'un magasin de luxe de la Cinquième Avenue sur un jeune chômeur de Harlem.
J'appelle donc "société de provocation" une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu'elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l'exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose de la possession, et les moyens qu'elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créés, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires.

Quelques liens

Asphodèle trouve le livre important et bouleversant. Elle renvoit en outre vers d'autres critiques
Historianman précise : Prophétiquement (le livre a été publié en 1970), il dénonce déjà les évolutions qui sont celles de notre société actuelle : l'histoire mémorielle version repentance
" Il serait inique et indigne d'en vouloir aujourd'hui et de leur faire grief des crimes de leurs ancêtres, lesquels n'étaient pas des crimes à l'époque et la montée des communautarismes. Rien de plus aberrant que de vouloir juger les siècles passés avec les yeux d'aujourd'hui".
D'autres avis sur Babelio et plus d'infos sur Wikipedia

Conclusion

A lire AB-SO-LU-MENT !!! Chien blanc n'est peut-être pas mon roman préféré parmi tous ceux que j'ai lu de l'auteur mais c'est, de loin, celui que je trouve le plus essentiel. S'il n'est pas étudié au lycée, il devrait l'être.
Lire aussi Lady L, Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable, la vie devant soi, la promesse de l'aube, etc. Tout Gary quoi !

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