lundi 7 février 2011

La moustache (Emmanuel Carrère)

Bonjour aux moustachu(e)s
Bonjour aux imberbes et glabres de tous poils
Bonjour aux zotres

Il y a quelques jours, je vous faisais part de mon enthousiasme total suite à la lecture du roman D'autres vies que la mienne (en lice pour le prix Qd9 2010). C'était ma 2e incursion dans l'oeuvre de Carrère, ma première approche avait été nettement moins positive (euphémisme) puisque j'avais détesté l'adaptation cinématographique que l'auteur avait faite de son roman éponyme La moustache. avec Emmanuelle Devos et Vincent Lindon. J'ai donc eu envie de lire le livre pour voir si j'allais plus adhérer à l'oeuvre écrite qu'au film. La réponse est indiscutablement oui même s'il s'agit d'un oui nuancé...

Le sujet

Marc décide un jour de raser sa moustache mais personne dans son entourage ne semble s'en apercevoir... pire, sa femme Agnès, ses collègues, ses amis lui affirment qu'il n'a jamais porté de moustache. Entre la mauvaise plaisanterie et la folie, les interprétations varient et se succèdent dans l'esprit de Marc tandis que ses relations aux autres se détériorent inexorablement.

Un extrait du roman
A propos d'un film avec Cary Grant vu par hasard à la TV

Le mot fin apparut, salué par les applaudissements du concert, puis la speakerine vint leur souhaiter une bonne nuit. Ils restèrent cependant assis sur le canapé, côte à côte, les yeux fixés sur l’écran déserté. Agnès passa sur une autre chaîne, mais il n’y avait plus rien. Le film, surtout pris en route, laissait une impression curieuse, on sentait que les divers éléments qui le composaient ne s’accordaient pas ensemble, que l’histoire réaliste et gnangnan de la fille-mère et du souriant docteur jurait avec celle du village de fous où on lynchait le boucher en s’apercevant qu’il était médecin, où les gens commettaient des meurtres après avoir purgé la peine qui les sanctionnait, et il lui semblait presque qu’au lieu de regarder le film, ils l’avaient composé tous les deux au fur et à mesure, sans se concerter, ou bien chacun s’efforçant de saper le travail de l’autre, comme on réaliserait un cadavre exquis en désirant qu’il soit raté pour énerver les autres participants. C’était probablement ainsi, songea-t-il, qu’avaient travaillé les scénaristes, en se tirant dans les pattes. La neige continuait à tomber sur l’écran, cela durerait toute la nuit. Il regretta de ne pas avoir de magnétoscope pour continuer. Page 51

Mon avis

Si, exceptionnellement, j'ai eu envie de citer un extrait du roman avant de rédiger ma critique, c'est qu'il constitue une bonne approche de ce que je pense du roman et je me demande si l'auteur n'a pas rédigé ce passage en guide de métaphore. De mon point de vue, le problème décrit pour ce film vu par hasard par les deux protagonistes du roman est exactement celui du livre : la coexistence d'éléments disparates qui se heurtent plus qu'ils ne créent une cohésion. A la lecture, j'ai eu le sentiment qu'Emmanuel Carrère avait été frappé de schizophrénie dans son roman et qu'une partie de lui passait son temps à sapper le boulot d'écriture et de structuration de l'oeuvre réalisé par ailleurs.

J'ai donc trouvé le roman bancal et le statut du narrateur m'a gênée. Le roman est rédigé à la 3e personne du singulier mais adopte clairement le point de vue de Marc dont il décrit les réflexions et leur évolution au fur et à mesure du développement du sujet. Il ne l'adopte cependant pas de façon radicale et une ambiguité constante demeure. J'ai bien conscience que celle-ci est volontaire mais elle m'a surtout semblé singulièrement pratique !

Rester dans le flou ne permet pas seulement de perdre le lecteur et de le tenir en haleine (je ne le fus pas), il constitue aussi (et surtout ?) un confort paresseux pour l'auteur qui, dès lors n'a même plus à s'embêter à faire un roman cohérent, à s'enquiquiner à donner du sens ?

Emmanuel Carrère a évacué le problème de la vraisemblance la plus élémentaire et c'est bien dommage surtout que dans un même temps, il s'entête sur des pages et des pages à décrire par le menu (et sans réelle analyse) les différentes hypothèses et stratégies élaborées par Marc. C'est terriblement premier degré et cela devient vite fastidieux voire ennuyeux.

La thématique abordée m'a fait songer à Rhinocéros, à Truisme et aussi... à cette récente pub Herta que je déteste parce qu'elle donne une image du couple que je déteste entre cruauté, incommunicabilité, mensonge, narcissisme de pétasse de la femme et lâcheté passive et stupide de l'homme. J'ai bien conscience que cette pub est sensée être marrante, légère et anecdotique mais elle ne passe pas.

Que dire de la fin ?
Je préviens... Début de Spoilers dans ce paragraphe.

La fin a scotché certain(e)s. J'ai juste trouvé qu'il s'agissait d'une facilité de plus au moment où le livre commençait à prendre un tournant plus substantiel et analytique, au moment où l'angoisse commençait à monter. Carrère a brutalement déserté son sujet comme son personnage a brusquement fuit la France et la réalité (ou son absence...).

Quelques liens

Pimprenelle met Carrère à l'honneur avec plein de liens vers des critiques de différents romans de l'auteur
Clara a adoré

Conclusion

Un peu... rasoir...

1 commentaire:

Le Journal de Chrys a dit…

J'ai lu également d'autres vie que.... et beaucoup aimé.

Je n'ai pas encore lu ce bouquin par contre!