jeudi 4 novembre 2010

L'homme qui voulait vivre sa vie (Film d'Eric Lartigau)

Bonjour à celles et ceux qui vivent la vie dont elles et ils rêvaient
Bonjour à Eric, Marina, Pierre-Ange et Douglas

Bonjour à la Ulike Team
Bonjour à Caroline
Bonjour aux zotres

L'homme qui voulait vivre sa vie
est sorti hier mais j'ai eu la chance de le voir en avant première grâce à Ulike. La projection était suivie d'un jeu de questions réponses très sympathique et plein d'humour avec le réalisateur et scénariste, Pierre-Ange Le Pogam, d'EuropaCorp, producteur du film et Marina Foïs en grande forme.

Le sujet

Paul est avocat, marié à Sarah, père de 2 enfants et propriétaire d'une superbe maison au Vésinet. Mais au delà du vernis de sa réussite, il garde en lui une part d'enfance potentiellement exaspérante pour sa femme et surtout, le sentiment d'un échec : celui de ne pas être devenu photographe. Un événement imprévu va bouleverser sa vie, l'obliger à tout quitté, muni seulement d'un appareil photo...

Mon avis

Je précise que contrairement à l'amie qui m'accompagnais, je n'avais pas lu le livre avant de voir le film. Je n'ai donc pas perçu les divergences entre le scenario original signé Eric Lartigau et le roman dont l'auteur avait lui-même tenté (en vain) d'écrire l'adaptation de même que moult scenaristes hollywoodiens qui avaient fini par renoncer.

J'arrivais sans a priori même si j'avais déjà beaucoup entendu parler du film (en bien) à la télévision et à la radio. En revanche, je connais désormais précisément le contenu du roman puisque le réalisateur du film en a fait un résumé détaillé après la projection afin de souligner les différences entre son adaptation et l'histoire contée par Douglas Kennedy et expliquer certains de ses choix. C'était très intéressant.

Douglas Kennedy est paraît-il le plus grand fan du film (mais j'espère que contrairement à ce qui se passe dans Misery de Stephen King, il n'ira pas pour autant sequestrer le réalisateur !) et il était très content qu'une boite de production hexagonale rachète les droits du film au studio US qui les détenait et qu'un français s'attaque au projet. Après tout, Douglas Kennedy a beaucoup plus de succès en France qu'aux USA...

Sans être un chef d'oeuvre, L'homme qui voulait vivre sa vie est, à bien des égards, un excellent film. Cela dit, il n'est pas dénué d'imperfections, la principale étant l'invraisemblance totale de la décision de Paul (avocat rappellons-le) et des actes qui suivent qui l'amène à tout quitter et à se faire passer pour mort aux yeux de tous. Cette raison figure sur le 4e de couverture du livre et n'est pas un grand secret dans l'abolu surtout avec le battage médiatique qui entoure le film. Toutefois, je n'en dirai pas plus si ce n'est qu'à ce point de l'histoire, le film diffère un peu du livre (teasing pour celles et ceux qui l'ont lu).

A mes yeux c'est franchement un détail, un présupposé d'une nature comparable au fait que Duncan Macleod se réveille immortel dans Highlander, que Brad Pitt rajeunit au lieu de vieillir dans L'étrange histoire de Benjamin Button ou que Jim Carrey passe 24h sans la moindre possibilité de mensonge dans Liar liar. On accepte ou pas ce point de départ et, sans lui, il n'y aurait plus d'histoire... L'essentiel n'est donc vraiment pas là.

Il n'est pas non plus dans le fait que pendant tout le début du film, Romain Duris est en dessous de sa qualité de jeu habituelle. En associé d'un cabinet d'avocat, il n'est crédible ni physiquement, ni gestuellement, ni vestimentairement, ni capillairement. Il surjoue un brin l'enthousiasme et ne convainct pas vraiment dans le personnage de Paul et, bizarrement, ce n'est pas gênant non plus puisque, quelque part, l'idée du film est justement celle-ci : à 35 ans environ, cet homme se sent mal dans sa vie et joue lui-même un personnage puisqu'il aurait rêvé d'être quelqu'un d'autre.

Le jeu de Duris bascule dès qu'il soupçonne sa femme de le tromper. Il redevient l'acteur habité, subtil, fragile et excessivement juste qu'il fut, entre autres, dans De battre mon coeur s'est arrêté. Le film de Lartigau m'a d'ailleurs fréquemment rappelé celui de Jacques Audiard pour l'émotion à fleur de peau, pour les non dits, pour ses failles de l'âme humaine, pour l'insatisfaction face à sa condition et la recherche de la perfection artistique, pour sa beauté formelle aussi et la présence magistrale et inquiétante de Niels Arestrup.

L'homme qui voulait vivre sa vie fait partie de ses films qui bouleverse pendant la projection (la qualité du silence pendant la séance était significative) et marquent durablement ensuite. Au delà de ses qualités cinématographiques propres, ce qui fait de ce film une vraie réussite et une oeuvre à l'impact durable est son évidente capacité à susciter des questions, des extrapolations, des identifications.

A cet égard, le débat qui a suivi la projection était très révélateur et chacun(e) interprétait la fin du film à sa manière, à l'aune de sa propre expérience, de ses doutes, de sa vision personnelle du monde. Ainsi, contrairement à ce qu'a dit un des trois intervenants, je ne crois pas que c'est être fidèle à l'autre que de le désaimer s'il/elle ne réalise pas le potentiel que l'on décelait en lui/elle tant il me semble qu'on devrait aimer les gens pour ce qu'ils sont et non pour ce qu'ils sont supposés devenir.

De même, je suis très loin de partager les avis quelques peu angélistes de Marina Foïs : je ne pense pas une seconde que la seconde partie du film soit optimiste et qu'il existe une forme de rédemption possible pour Paul.

Il ne démontre pas plus le célèbre "quand on veut on peut" :
- d'une part parce que Paul n'a rien activement "voulu" : suite à une situation qu'il n'a pas souhaité, il prend certes une décision radicale mais il ne le fait pas pour lui-même,
- d'autre part, parce que la quête de soi ou de ce qu'on aurait voulu être me semble parfaitement illusoire et ne peut conduire qu'à une fuite en avant sur un sentier de plus en plus étroit. Nous vivons en interaction avec les autres, nous sommes empreints de codes sociaux, culturels, légaux et moraux : ce que nous sommes et ce que nous advenons résulte au moins autant des zotres que de nous-même. Nous ne sommes libres que dans un cadre prédéfini et tenter de s'en extraire mène à la chute. Et, me semble-t-il, c'est ce que démontre parfaitement le film.

Dans une certaine mesure, la quête de soi me semble comparable à celle de la perfection physique ou de l'éternelle jeunesse recherchée à coups de bistouri : c'est un tonneau des danaïdes voire un oxymore.

Je viens de tomber, pas tout à fait par hasard vous vous en doutez, sur un plan de
devoir de philo portant sur le thème "Peut-on ne pas être soi-même ?". Si je devais rédiger une telle dissertation, je partirais du postulat inverse et m'ingénierais à démontrer qu'on ne peut pas être totalement soi-même :
- d'une part parce que, au sens strict, cela présupposerait soit une définition figée une fois pour toute de ce "soi-même" alors que nous changeons constamment, soit la définition d'une "finalité" et un déterminisme dans le seul but d'atteindre l'objectif prédéfini,
- d'autre part, parce que cela poserait nos actes comme uniquement rationnels et exempts d'influences extérieures, de freins physiques, intellectuels ou éducatifs, autrement dit, inscrits dans une totale absence d'interaction et une parfaite ammoralité (à ne pas confondre avec immoralité).

Je me sens beaucoup plus proche du "Je est un autre" d'Arthur Rimbaud et je m'applique juste à suivre au mieux le précepte formulé par Louis Calaferte (ou René Char, j'ai soudain un doute ?) : "oser se ressembler" ce qui me semble déjà un programme ambitieux, complexe (mais agréable).

En écrivant ce qui précède je me suis soudain demandé quel était le titre original du roman de Douglas Kennedy et, vérification faite, il s'intitule The big picture ce qui me semble beaucoup plus adapté et recelé une ambiguité sémantique plus intéressante que le flou contenu dans le titre traduit.

Je viens de commencer la lecture du roman et je peux déjà le dire officiellement : j'aime. De fait, me voilà participante au challenge "livre + film !".

Quelques liens

Vous pourrez découvrir des tas d'infos sur cet excellent film, des interviews du réalisateur et de l'auteur, des extraits, etc.
Allociné - Cinemovies - Ulike

Conclusion

Un coup de coeur. Un excellent film, un casting plus qu'alléchant et surtout, des heures et des heures de réflexions personnelles et de discussions philosophico-psy entre ami(e)s assurées sur le thème du bonheur, du courage, des compromis, de la famille, des choix, etc. Tout ce que j'aime et qui me nourrit (sans les effets secondaires des macarons et des chocolats belges).

5 commentaires:

Constance a dit…

Pas fan de Duris, je vais me contenteer de la version papier pour me faire mon cinéma !!

enna a dit…

J'avais coché ton article dans mon google reader sans le lire car je savais que j'allais voir le film...Maintenant que je l'ai vu, je l'ai lu et je trouve que c'est très juste! J'ai surtout trouvé que la fin (bateau) n'est pas du tout crédible et cherche à faire un peu une "redemption" du personnage en faisant de lui une sorte de "chevalier blanc" qui n'allait pas avec le reste du film, ni avec le livre... J'ai hâte de lire ton avis sur le roman!

ficelle a dit…

Voilà une vraie critique (comme je ne sais pas les faire d'ailleurs)pleine de questions, d'arguments, et de références ("oser se ressembler", quel beau programme, dis-nous si c'est Char ou Calaferte). Sincèrement, je pense que beaucoup d'auteurs aimeraient qu'on prenne ainsi le temps d'analyser ce qu'on a ressenti lors d'un film ou d'une lecture. Ils ont eu raison de t'inviter, parce que du coup j'ai envie de le voir. J'avais lu le roman, je ne me souviens pas de tout en détail, quelque chose de très noir me reste en mémoire.
Bon travail, miss Cécile !

Cécile Qd9 a dit…

@ Constance : j'ai presque terminé la version papier qui est sensiblement différente et très bien aussi

@ Enna : crédible ou pas, la fin est surtout moralement discutable et sujette à moult débats aussi sur le thème du "rachat d'une action par une autre"...

@ Ficelle : voilà un très beau compliment. Merci ! En fait, je trouve que la qualité essentielle de ce film est effectivement qu'il donne matière à réflexion et à débat et c'est ça que j'ai eu envie de faire passer dans mon topo.

Didi a dit…

J'attends donc ton billet sur le livre :-)
Merci de m'avoir indiqué le photographe qui a fait les clichés du film ! Par contre après qq recherches sur le net et bien je suis très déçue par son travail de photographe... je n'adhère pas et je ne retrouve pas les clichés de Paul Exben ...