lundi 25 mai 2009

L'Open Space m'a tuer (avec un chandelier dans le bureau)

Bonjour Thomas
Bonjour Alexandre
Bonjour aux victimes de l'open space
Bonjour aux zotres

A noter : à 15h30 aujourd'hui mise en ligne de nouvelles photos prises au jardin Albert Kahn de Boulogne Billancourt.

Intro

Dès les premiers mots, le décor est planté. Je cite : "Un petit message positif pour conclure ? Pas notre but. Nous ne sommes pas là pour adoucir."

Ah non, suis bête, il s'agit pratiquement des dernières lignes du livre mais elles reflètent bien l'idée générale et une certaine vision de la fonction de consultant(e) (je rappelle que "consultant(e) n'est pas un "métier" contrairement à boulanger ou dentiste ou facteur).

Contexte

Ne pas lire L'Open space m'a tuer quand on est consultant(e) c'est un peu comme ne pas avoir vu La Boum quand on pile poil l'âge de Sophie Marceau. J'avais 13 ans et j'étais en 4e quand les aventures de Vic sont sorties au cinéma. J'ai donc vu La Boum (les deux même). Alors évidemment ce n'est pas un très graaaaand film (mais pas un très mauvais non plus) mais on s'identifie (un peu), on rêve (beaucoup), on soupire (passionnément) devant le beau Alexandre Sterling et bien sûr, dans les années qui suivent (et sûrement ad vitam eternam) on re-re-re-re-regarde quand c'est re-re-re-rediffusé à la télévision.

Depuis La Boum j'ai grandi, je suis une adulte diplômée, professionnelle et (ir-)responsable et, figurez-vous, consultante (tiens donc !). J'ai donc évidemment lu, que dis-je, j'ai dévoré le livre culte de Thomas Zuber et Alexandre des Isnards et je ne saurais trop le conseiller autour de moi. Cela dit, j'ai mis beaucoup de temps avant de finaliser cette critique, à penser au livre, à mon métier, à la conjoncture, l'évolution des attentes des salariés (cadres ou non) dans leur milieu professionnel. Tout ça quoi.

Première impression

Dès le premier chapitre intitulé "Je suis charette", j'ai reconnu une tendance manifeste chez certain(e)s, d'autant plus exaspérante à mes yeux que je la subis sans la faire subir en retour (enfin je crois) : poursuivre voire entâmer des communications téléphoniques perso pendant de longues minutes en ma présence en me demandant d'un geste explicite du bras (en gros de grands moulinets) de rester et de m'assoir quand je fais mine de partir. C'est exactement ça : exaspérant et limite méprisant. Exaspérant parce que limite méprisant.

L'usage intempestif du téléphone, pro, perso, à toute heure, en tous sens, pour tout, n'importe quoi, n'importe comment, à chaud, sans recul, en réunion, en public, partout, tout le temps m'insupporte et les "t'es où ?" me désespèrent (en gros, on veut me parler ou me localiser géographiquement ?). J'ai de plus en plus de mal ce qui fait que je réponds de moins en moins... Ainsi naissent les cercles vicieux. On insiste, je résiste et si cela fait une moyenne, je ne suis pas certaine que cela crée un équilibre... Mais je digresse, quoique.

Constat

En fait, c'est exactement ce qui forme paradoxalement l'intérêt et les limites du livre : à chaque chapitre j'ai des exemples, des anecdotes en tête, je me reconnais (un peu) ou je reconnais les zotres (beaucoup) en vertu du sacro-saint principe de la paille et de la poutre (ou de ma quasi perfection naturelle, choisissez). Toutefois, deux constats s'imposent :

1 - Je ne suis pas certaine que le livre parlera beaucoup à celles et ceux qui ne connaissent pas le milieu du conseil et la vie en cabinet. Ma mère me comprendra-t-elle mieux et arrêtera-t-elle de me poser des questions à côté de la plaque sur mon job si je lui fais lire le livre ? J'en doute mais j'ai tout de même tenté : mon exemplaire est dans son camp, à elle d'ouvrir le livre. Trouvera-t-elle ça intéressant ? J'en doute.
2 - On parle bien d'anecdotes, d'exemples ponctuels. Parfois il est frustrant, au vu de la pertinence des ébauches d'analyse amorcées, que celles-ci ne soient pas poussées un peu plus loin. On sent le constat facile de deux potes connaissant parfaitement leur sujet mais restant (par facilité ?) dans un registre purement descriptif et souvent empreint d'une mauvaise foi (les gentil(le)s diront d'un recul salutaire) qu'il serait tout de même bon de nuancer un brin.

Contenu

En 25 cours chapitres aux titres révélateurs tels que "Position démissionnaire" ou "un cadre qui ne cadre rien" et même l'inévitable "Fesse bouc", les auteurs brossent un portrait non pas au vitriol mais à l'acide édulcoré qui n'érode qu'en surface. Certes, tout ce qui est dit est parfaitement vrai, totalement intéressant et parfois dramatiquement dommage mais on (enfin moi) ne peut s'empêcher de regretter le recours intempestif à des dialogues factices et de très peu d'intérêt qui auraient avantageusement pu être remplacés par quelques analyses plus fouillées. Il est à mon avis très symptomatique que les auteurs aient fait l'impasse sur le chapître jargon franglais car les dialogues évoqués ci-dessus en sont caricaturalement truffés (et moi, c'est un des trucs que je trouve les plus ridicules et exaspérants chez certain(e)s collègues) (voir le lien sur le "wording").

Plus gênant, la question du "pourquoi" n'est quasiment jamais posée pourtant il y aurait beaucoup à commenter et à expliquer sur de nombreux sujets, celui du cadre qui n'encadre pas et sur la tendance très "armée mexicaine" du consulting par exemple (tendance qui s'accentue d'ailleurs de façon là encore très explicable). De plus, en faisant un portrait exclusivement à charge, les auteurs perdent à mon avis en efficacité et en crédibilité ce qu'ils gagnent en dénonciation.


Une des réponses à ce pourquoi aurait été de préciser qu'ils ne dressent le portrait que de débutant(e)s "victimes" de leur méchante hérarchie (ou de leur incapacité à y faire face car c'est justement un des rares métiers où c'est possible voire souhaitable... pas toujours certes mais la plupart du temps). Parti-pris très respectable mais qui fausse toutefois la donne générale et il aurait été bon, je pense, de l'indiquer d'une manière ou d'une autre tant les consultant(e)s plus expérimenté(e)s apprennent à déjouer certains écueils, à se jouer de certains autres, à adopter d'autres encore et, d'une manière plus générale, à dire "non" quand ils le jugent nécessaire (voir à conseiller l'usage de ce mot à leurs jeunes collègues comme premier outil de gestion du temps).

Alors oui, on pourra lire et aimer L'open space m'a tuer comme on se régale en songeant aux lois de Murphy : sur un mode décalé empreint d'une composante mauvaise foi non négligeable mais pour cela il manque un peu d'humour et le sens aigu de la dérision qui caractérisent les digressions autour de la tartine beurrée et de l'emmerdement maxium.

Quelques liens

Une critique qui regrette le côté suprficiel du livre
Le wording ou dictionnaire français/open space
Une lecture pendant le Paris-Dakar

Quelques extraits

A propos de facebook
Plus le monde est ressenti comme intrusif, et plus nous réagissons par un dévoilement préventif. Plus ce renoncement à l'intimité se propage, plus la surveillance réciproque générale progresse. Comme dit Desproges : "Je cache ma pudeur en montrant ma bite !" (P.70)

Boulot ? Perso ? Tout se mélange. La nouvelle frontière ? C'est qu'il n'y en a plus. Avec le blackberry, le boulot empiète sur l'intimité. Mais la vraie révolution c'est l'inverse. Les jeunes cadres emportent leur vie privée au taf. Et tout le monde y trouve son compte ?

Maintenant on est considéré comme jeune de plus en plus vieux et comme vieux de plus en plus jeune. (P.88)

Belle parabole du conseil. On organise des jeux en équipe pour essayer de souder les équipes et tout cela se termine par des récompenses... individuelles. (P.97)

Conclusion

Un livre que j'ai lu avec un intérêt quasi amoureux ou tout au moins complice mais qui m'a malgré tout laissé un peu sur ma faim et je me prends à rêver d'une réédition "remaniée et complétée" un peu plus consistante et un peu moins caricaturale. Je précise que cette caricature n'est pas dans l'exagération de ce qui est dit/décrit mais dans l'absence très regrettable d'analyse et de relativisation.


Pour comprendre ce qu'est un(e) consultant(e) et les travers des comportements et du management dans ce secteur, on pourra se référer à l'excellent film "Violence des échanges en milieu tempéré" de Jean-Marc Moutout avec Laurent Lucas et le formidable Jérémie Rénier qui avait demandé à faire un stage en cabinet afin de préparer son rôle.

3 commentaires:

Daniel Fattore a dit…

Cela fait un moment que j'ai repéré ce livre, d'autant plus que dans mon entreprise, la question des bureaux en espace ouvert devient d'actualité. Je ne l'ai pas trouvé à Paris (pas regardé, non plus...), mais sur un sujet connexe, j'ai pu mettre le grappin sur un ouvrage plus scientifique, "Le Management à l'épreuve du bureau", aux éditions L'Harmattan, dont j'ai visité la librairie l'autre jour. Cela pourrait faire une belle paire de livres.

liliba a dit…

Pas pour moi, mais je sais à qui l'offrir.

Cécile Qd9 a dit…

@ Daniel : vraiment idéal à lire ou à offrir quand on bosse dans le tertiaire et qu'on fréquente les open spaces

@ Liliba : moi aussi je pense l'offrir à plusieurs personnes