Bonjour Charles
Bonjour les zotres
Je n’hésite pas à le dire, le livre que j’ai dévoré fin mai est le meilleur qui me soit passé entre les mains et sous les yeux depuis le début de l’année 2009. Oui, vous avez bien lu, meilleur que le dernier Jaenada, meilleur que le Dubois, meilleur que tout ce que j’ai aimé (et évidemment meilleur que tout ce que je n’ai pas aimé) jusqu’ici et il rejoint derechef le panthéon des livres dont je vais vous rebattre les oreilles, le cercle restreint des livres que je vais offrir à tout le monde (ou presque, âmes sensibles s’abstenir !) et à tous bouts de champ.
Le sujet
On est en mars 1978 mais on pourrait être n’importe quand. On ne sait pas très bien où l’on est, plutôt en Europe de l’est, sans doute en ex-Yougoslavie mais on pourrait être n’importe où pourvu qu’il y ait une sale guerre (pléonasme) dans le coin. Pour avoir cassé les dents de sa maîtresse, un jeune homme pour le moins paumé se voit menacé de mort par le mari de cette dernière qui lui demande de commettre un meurtre pour effacer sa dette (parce que c’est à ses pires ennemis qu’il faut demander les plus grands services dit-il). Pour atteindre sa cible, il devra s’engager dans l’armée avec son meilleur ami mais rien ne se passe comme prévu et il devient amnésique.
En alternant pensées présentes sur son lit d'hôpital et flash-back au fur et à mesure que la mémoire lui revient, le personnage principal raconte quelques mois d’une vie particulièrement crapuleuse et sordide.
Mon avis
Mort d’un parfait bilingue est un grand livre signé du belge Thomas Gunzig connu avant cela comme auteur de nouvelles et déjà moultement primé. Ce livre avait été offert par Le Diable Vauvert à l’occasion du DLE d’avril (j’attends toujours la critique de la personne qui avait été tirée au sort) et il se trouve que je le possédais depuis le DLE de mars où j’avais été particulièrement attirée par le titre et le 4e de couverture de l’édition poche.
Le contenu a largement confirmé cette première impression favorable et dépassé mes espérances à tous points de vue. Pour un premier roman, c’est un coup de maître tant sur le fond que sur la forme et j’ai énormément apprécié le style imagé au ton décalé qui n’est pas sans rappeler Jaenada (les parenthèses en moins) ou même Frédéric Dard (en non argotique). J’ai adoré cette manière inconsciente (voire inconséquente) et légère de raconter les choses les plus sordides qui m’a évoqué, par exemple, les pages les plus cruelles et grinçantes de Curzio Malaparte ou la fameuse scène de torture dans Reservoir Dog de Quentin Tarantino.
J'ai aussi songé (un peu) à Orange mécanique d'Antony Burgess, beaucoup à l'excellent De Niro's Game de Rawi Hage qui était mon choix initial pour le prix Qd9 2009 dans la catégorie "étranger" (pour la guerre, le personnage paumé, le chacun pour soi, la violence, la mort et la folie qui rodent), à Calaferte, à Gary, à tous les auteurs à la plume sombre et brillamment incisive que j'affectionne (voir le répertoire des auteurs). J'ai aussi aimé la construction non chronologique du roman comme un puzzle aux pièces manquantes qui se reformerait peu à peu au fur et à mesure que le personnage principal recouvre la mémoire.
Je comprends qu’on puisse être réfractaire au ton limite cynique de Gunzig mais je le trouve aussi jubilatoire qu’efficace tant il me semble exact que l’humour est la politesse du désespoir (qui disait ça déjà à part Lio et Hugo Pratt ?).
Pendant ma lecture j’ai écrit à Charles du Diable Vauvert :
"La poursuite du Gunzig m'enchante. C'est marrant comme le verbe enchanter paraît désuet dans l'absolu et finalement inadapté à l'univers un brin déjanté (euphémisme) et moyennement glamour de l'auteur mais plus j'avance dans ma lecture plus j'affiche un sourire béat de satisfaction littéraire. J'adore !"
Ce à quoi il a répondu cette chose fort juste :
"Si je me souviens bien, le Gunzig m’avait fait un peu le même effet. Au point que je ne me rendais pas vraiment compte de l’état du monde dans lequel il me baladait. Je pense que c’est le genre de mec qui pourrait nous faire visiter des ruines fumantes, et nous on dirait juste que “c’est beau quand même ces volutes de fumée avec le nuage radioactif en arrière-plan”."
Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce roman constitue bel et bien un témoignage à charge contre les atrocités de la guerre et non une apologie irresponsable de la sauvagerie et c’est bien du décalage entre le ton truculent, foisonnant, drôle, désespéré, cruel et inconséquent du récit et la gravité des faits relatés qui donne toute sa force au message contenu dans les pages de Gunzig : l’homme est capable du pire et le pire c’est ce que je vous raconte. J'ajoute : avec brio !
Extraits trouvés sur le net
"Ceux qui m'ont connu à l'époque des terribles évènements de mars 1978 vous diront que je n'étais pas un type sur les pieds duquel on pouvait venir marcher. Je n'étais ni très costaud, ni très vif, ni très souple, ni très rapide à la course, et je m'y prenais plutôt mal avec les armes. Bref, je n'avais aucun point commun avec la plupart des bonshommes qui habitaient en ville et passaient le plus clair de leur temps à se faire des clés japonaises et à se démettre des épaules ou qui savaient démonter les M16 achetés dans les stocks américains pour les planquer dans des essieux de voiture. Mais j'étais un vrai vicelard dont il fallait se méfier. Je n'avais jamais fait grand-chose de passionnant dans ma vie, mais j'aurai pu décrocher un doctorat en coups fourrés. Je savais couper la cocaïne avec de la poudre à lessiver, je pouvais orienter le touriste le plus exigeant sur le modèle de fille qu'il voulait […] Je pouvais aussi tuer des gens. Mais ça, autant que possible, j'évitais, fallait que je crève la dalle pour en arriver là. A cette époque, je n'avais tué qu'un seul type : Pierre "Petits-Pois" Robert…"
"- Je me demande à quoi ça a servi qu'on vienne jusqu'ici si c'est pour faire tout sauter après ? j'ai demandé alors qu'on descendait les escaliers.- Dans une guerre, chercher à comprendre les ordres qu'on te donne c'est comme chercher un sens à ta vie. Ça ne sert qu'à te rendre malheureux."
Quelques liens
Le blog de l'auteur ici
Sa Bio et biblio sur le site du Diable Vauvert
Je suis entièrement d'accord avec ceci
Une critique assez dure et qui surtout fait un énorme spoiler et ce n'est pas par parti pris mais bien pour cette dernière raison que je vous déconseille de la lire sauf si vous avez déjà lu le livre. Je dirai que ce que le reproche contenu dans la question qui fait l'objet du spoiler prouve que la personne qui l'a rédigée n'a guère compris le livre, l'a pris au premier degré et/ou est vraiment réfractaire au fait que la littérature puisse servir aussi à dénoncer l'ignominie sur un ton léger et décalé. Moi j'adore et cela me rappelle les meilleures pages de Curzio Malaparte (énooooorme compliment de ma part).
En voici un extrait sans le dit spoiler qui a le mérite de lister quelques expressions que j'ai aimées :
Bien sûr, la narration est truffée d’images à la San-Antonio mais un bon élève du secondaire un peu speedé serait-il incapable de les pondre ? Du genre : « En plein été la ville ressemblait à une pomme au four. » ; « Cette histoire (.) allait rester comme un râteau planté dans le haut de mon crâne jusqu’à la fin de mes jours. » ; « quelqu’un avec des mains grandes comme des encyclopédies » ; « Ben Aaron est le fils d’une merde de chien et d’une roue d'autobus » ;« ses sourcils ressemblaient à deux buissons de genévrier »…Mais cela fait-il partie du programme décalé de Thomas Gunzig de placer de ci delà, comme pour vérifier l’attention de son lecteur, de subtils anachronismes qui, eux aussi, font un peu désordre : l’action est censée se passer « en mars 1978 »?... A ma connaissance, la télévision par satellite et les Fiat Punto (entre autres) étaient encore dans les encriers des concepteurs. Ils apparaissent pourtant ici.
Conclusion
Un énooooooooorme coup de coeur. De loin le meilleur livre que j'ai lu en 2009 à ce jour.
Edit fin septembre : c'est encore vrai maintenant !
Edit en mai 2010 : c'est toujours vrai au point que ce livre figure parmi les 3 finalistes francophones du Prix Quoide9 2010 (voir ici).
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8 commentaires:
Tu me fais rire à citer tous tes auteurs préférés dans ton billet ;o) Au moins, on voit que tu as aimé ! Je ne sais pas si j'aurais encore envie de guerre quand j'aurai achevé "Voyage au bout de la nuit", mais tu sais donner très envie. Déjà qu'à cause de toi, je vois Malaparte et Calaferte partout...
Je radote... ;o)
Bonjour Cécile !
Vraiment heureux que le livre t'ait plu (doux euphémisme apparemment).
A bientôt pour de nouvelles aventures !
@ Charles : le livre m'a vachement hyper top méga trop beaucoup plu !
Il y a des mois comme ça où tout va bien : les 3 que j'ai lu ensuite m'ont vachement hyper top méga trop beaucoup plu également !
Dingue...
Tant d'enthousiasme me force à noter ce titre (et peut-être aussi parce que tu fais plein de références qui m'ont plu ?). :D
Je ne partage pas ton enthousiasme mais j'ai beaucoup apprécié le style décalé de ce roman (que j'avais apporté au DLE). Une belle lecture..
Ahhh Cécile, toujours dans la mesure !!!
Même si des tels débordements me sembleront toujours suspicieux, je m'aventurerai volontiers à jeter un œil sur ce roman dès que j'en aurai l'occasion :)
@ Restling : j'essaie d'étayer mon enthousiasme de références qui montrent d'où il provient
@ Nathalie : c'est donc ton exemplaire que j'ai récupéré. merci
@ ICB : Je ne déborde pas... C'est juste que quand j'aime vraiment un truc je le dis (quand je n'aime pas aussi d'ailleurs).
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