Bonjour aux enfants désordonnés
Bonjour aux ado bordéliques
Bonjour aux adultes bazaroïdes
Bonjour aux zotres
Parfois, la réputation qui précède un livre nuit à sa lecture tant il est vrai, par exemple, qu’entendre trop d’éloges à propos d’un ouvrage peut accroître les attentes à son égard et donc les risques de déception. De même, un battage médiatique abusif perturbe la lecture et surtout complique toute velléité d’analyse et de critique objective, celle-ci se trouvant d’emblée biaisée par toute publicité ou contre-publicité excessive. Les quelques lignes de ce paragraphe d’introduction et le paragraphe qui va suivre en sont la preuve : avant même de dire ce que je pense du livre, je me sens obligée de prendre quelques précautions oratoires et de rappeler le contexte qui a entouré sa lecture.
Le contexte
Il y a plusieurs mois déjà, j’ai reçu un mail d’une attachée de presse de chez
Albin Michel me proposant de m’envoyer
Les enfants du désordre d’Olivier Descosse. Spontanément je lis très peu de thrillers et encore plus rarement des thrillers français (à part deux
Grangé et quelques
Brussolo, je ne vois pas). J’ai trouvé que l’occasion était excellente de renouer avec un genre qui n’a pas ma priorité et de découvrir un auteur hexagonal susceptible de rivaliser avec les maîtres anglo-saxons du genre ; j’ai donc accepté le cadeau avec un sincère enthousiasme. Mes priorités de lecture m’ont porté vers d’autres choix pendant plusieurs semaines et, au moment où je décidai enfin de lire le roman de Descosse, une violente polémique a éclaté à son sujet dans le microcosme de la blogosphère littéraire. Elle concernait non pas le contenu ou la qualité du livre (ou son absence) mais une opération promotionnelle à base de mails bidons d’une fausse ado à problèmes ciblant les bloggeurs/euses. Je ne les ai pas reçus puisque j’avais déjà été contactée « normalement » quelques semaines plus tôt mais je sais déjà que je n’aurais pas répondu à ces mails pour la simple raison que j’obéis à quelques règles de base sur le net dont les deux ci-dessous :
- aucun échange avec des mineur(e)s,
- aucun échange avec des personnes en état de détresse affective et/ou « à problème » (je ne suis pas psy).
J’ai déjà dit sur divers blogs dont le mien ce que je pensais de tout ça : procédé maladroit certes qui ne méritait cependant pas la violence et la hargne de certaines attaques. J’ai trouvé « l’affaire » à la fois intéressante à décrypter et ridicule (tout ça pour ça), rassurante et inquiétante.
Rassurante car elle montre que même abreuvée de livres et autres propositions d’éditeurs, la blogosphère littéraire ne se laisse pas acheter, elle reste libre et écrit ce qu’elle pense nettement plus que les blogs à tendance marketing, communication, geek en tout cas… Il faut dire que les cadeaux (et leurs montants !) ne sont pas les mêmes et les tentations de « faire plaisir » (et donc de ne rien écrire susceptible de fâcher) pour ne pas se faire black lister et continuer à recevoir des offres sont donc moindres.
Inquiétante parce que j’ai trouvé que certaines attaques frôlaient l’insulte voire la diffamation et je ne m’attendais pas à tant de violence verbale pour un sujet somme toute insignifiant (à mes yeux)… Hé, là, on parle d’un livre, pas de la peine de mort ou de la guerre du Golfe… L’éditeur a envoyé quelques mails, il n’a pas conduit à contresens sur l’autoroute en état d’ivresse, il n’a violé ni assassiné personne. Bref, j’ai trouvé la démesure du procès encore plus dérangeante que les mails qui l’ont fait naître et j’ai regretté que par un étrange effet d’amalgame, certain(e) cataloguent d’emblée le livre comme nul sans même l’avoir lu (ne pas avoir envie de le lire par manque d’intérêt pour le sujet ou même en réaction à la tentative promotionnelle est une chose tout à fait respectable, dire que c’est une daube sans l’ouvrir l’est déjà beaucoup moins !) et ça m’enquiquine parce que, de fait, je me sens obligée là encore de tenir compte de ce type de réaction avant même de rédiger ma propre critique, raisonnable et argumentée puisque postérieure, elle, à ma lecture du livre.
Le sujetUn ancien psy reconverti dans la police enquête sur une série de meurtres particulièrement sordides commis sur des adolescents.
Mon avisSi je lis peu de thrillers, c’est que je leur reproche de privilégier le sensationnel à la vraisemblance, la surenchère violente et macabre à la cohérence du fond. Plus le sang gicle et plus les victimes ont été torturées, mutilées, démembrées et que sais-je encore, plus longtemps elles ont agonisé et souffert avant de rendre l’âme, mieux c’est. Pourquoi pas dans l’absolu mais je suis personnellement plus impressionnée par la construction impeccable de n’importe quel roman policier d’
Agatha Christie, par l’imagination et la verve déployées dans un bon vieux
San Antonio ou par les analyses ethnologiques passionnantes des enquêtes en territoire Navajo de
Tony Hillerman que par les déchaînements morbides de serial killers sadiques (pléonasme ?) aux profils improbables nés de l’imagination d’auteur(e)s visant le sensationnel à tout prix. Descosse n’échappe pas au travers du genre et ce qu’il raconte présente à peu près autant de crédibilité que
Mimie Matthy en aurait en guide de haute montagne ou moi future présidente du Mozambique (quoique).
Quand on voit les difficultés que rencontre la vraie police pour faire le lien entre différents meurtres commis dans une même zone géographique sur plusieurs années, on se demande bien par quel miracle des informations sur 3 meurtres commis en 4 jours dans différentes villes de province arrivent comme par hasard aux oreilles d’une seule et même personne à Paris.
Mais admettons. Passons sur ce présupposé introductif sans lequel il n’y aurait pas de roman. Passons d’autant plus que ce n’est que le premier de forts nombreux « hasards et coïncidences» (ne dirait-on pas un titre de Jane Austen ?) et c’est loin d’être le plus abracadabrantesque ! A un moment de ma lecture (vers le tiers ou le milieu du livre je crois), j’ai subodoré un début de commencement de coup fourré final et je me suis dit « non, il ne va tout de même pas oser ! ». Ben si, l’auteur a osé, j’avais vu juste en imaginant le plus zénooooorme et c’en est risible. Mais là encore, passons. Après tout, depuis mon premier
Patricia Cornwell, je sais que le dénouement n’est pas forcément le point fort d’un thriller (euphémisme) où tout s’emboite trop bien (un peu comme dans un épisode des experts où le seul morceau de minuscule fibre orange retrouvé est forcément un indice déterminant) ou au contraire où rien ne colle et on nous sort un suspect parfaitement inconnu dans les dernières pages.
En fait, ce qui m’a vraiment gêné ce ne sont pas les invraisemblances de l’intrigue : après tout, on fait l’impasse sur le problème pour n’importe quelle série policière à la TV (qu’est-ce qu’on meurt souvent et qu’est-ce qu’on va en taule fréquemment dans l’entourage d’un enquêteur du FBI !) ou pour les James Bond par exemple (ça fait même partie du charme de 007 quelque part), non, ce qui m’a vraiment gênée disais-je, ce sont les incohérences totales sur les plans relationnel, psychologique et comportemental et sur ce point, toujours depuis mon premier
Patricia Cornwell, je sais que les auteur(e)s de thriller peuvent être très doué(e)s et même assez intéressants quand ils/elles veulent (
Misery, le silence des agneaux, etc.).
Je vais prendre trois exemples caractéristiques des lacunes caricaturales du Descosse :
1 - Un flic parisien rencontre une fliquette du sud ouest au cours d’une enquête et immédiatement ils couchent ensemble. Jusque là, normal. Où je commence à tiquer c’est qu’au bout de 3 jours même pas passés ensemble, ils raisonnent « avenir » et « où va notre relation » ! Quelle relation ? Ils se connaissent depuis secondes et ont couché ensemble une fois !
2 - Les interrogatoires menés auprès des proches des victimes durent 3 minutes douche comprise et le soit disant super top profiler ne demande même pas à jeter un coup d’œil aux chambres et objets personnels des victimes. En revanche, il sort toujours de chaque mini entretien avec des certitudes bien arrêtées (mais fondées sur quoi ?) quant à la sincérité de ce qu’on lui raconte.
3 - Miss Fliquette se rend dans une boite fréquentée par quelques gothiques et bingo, sur un coup de bluff, elle s’aperçoit qu’elle tombe sur des satanistes. Quelle chance d’une part puisque c’est effectivement ce qu’elle cherchait, quel talent de sa part de l’avoir flairé et fait avouer d’autre part et, surtout et enfin, quelle faiblesse de la part de ses interlocuteurs d’avoir lâché le morceau si facilement !
Ce genre de séquence déconcertante de naïveté et ne lésinant pas sur les clichés se répète à plusieurs reprises dans des registres différents. Etc. Alors que reste-t-il ?
Le fait que je ne demande absolument pas à un thriller ce que j'attends d'une oeuvre littéraire et que je lis ce genre de livre comme je regarde TF1 plutôt qu'Arte. Le livre se lit très vite et plutôt agréablement : on ne s’ennuie donc pas une seule seconde et, très honnêtement, quitte à lire un thriller de temps en temps dans sa vie, autant lire Les enfants du désordre plutôt que le déplorable, lamentable, nullissime
Da Vinci Code par exemple que sa médiocrité n’a pas empêché Dan Brown de vendre des millions d’exemplaires. Cela dit, quitte à lire un thriller français, autant lire un Brussolo ou un Grangé (même si j’ai quelques réserves sérieuses à propos des rivières pourpres).
ConclusionLe livre ne mérite pas le tollé déclenché sur le net il y a un mois ou deux et il n’est ni meilleur ni plus mauvais que les standards du genre et même nettement meilleur que certains best-sellers internationaux dont je me demande encore pourquoi on nous a rebattu les oreilles.
Les amatrices et amateurs de thrillers y trouveront leur compte. Celles et ceux qui, comme moi, sont moins fans du genre ne garderont pas forcément un souvenir éternel de ce roman mais le liront sans déplaisir pour se reposer entre deux morceaux de littérature plus conséquents ou l’été, entre deux siestes, paresseusement allongé(e) au bord d’une piscine, les doigts (et donc les pages) huileux de crème solaire et un œil rêveur trainant de temps à autres sur le/la trobogosse/bathnana du transat vert à 3 mètres.