Bonjour aux libanais(es)Bonjour aux canadien(ne)s
Bonjour aux zotresLa blogosphère littératuro-culturallo-diverse regorge de critiques dithyrambiques (m'agacent ce "y" et ce "i" que je ne sais jamais où placer !) et méritées à propos de ce premier roman canadien écrit en anglais par un libanais vivant à Montréal.
J'ai attendu quelques semaines avant de rédiger la mienne histoire de vous faire une petite piqûre de rappel au cas où vous n'auriez pas compris qu'il faut
ABSOLUMENT lire ce livre publié chez
Denoel. Ce que je vais écrire ne va donc guère vous sembler original :
j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre dense, intéressant, bien écrit et je ne peux que vous conseiller de l'ajouter à votre liste au Père Noel.
Le sujetBassam et Georges sont deux amis d'enfance qui vivent leur jeunesse à Beyrouth dans les années 80. Leur vie oscille entre délinquance, bombardements, morts de voisins, de parents, d'amis, combines douteuses, frustration sexuelle, rapports avec la milice chrétienne (faute d'en avoir avec les filles ?) avec toujours, chez Bassam, ce désir de fuir à l'étranger avec ou sans son ami Georges dont le comportement, les idées et les engagements le poussent chaque jour vers plus de violence.
Mon avisEn ce moment j'ai de la chance, je ne lis (presque : voir message précédent) que de bons voire très bons bouquins dont j'ai treize envies de vous dire le plus grand bien.
De Niro's Game est un coup de maître grandiose, un premier roman dur et passionnant.
L'écriture est magnifique, à la fois poétique et sans concessions, métaphorique et crue au service d'une histoire terrible de guerre et d'amitié, de violence et de fuite. Je pourrais multiplier les éloges, aligner les qualificatifs admiratifs tant j'ai été captivée par l'univers dépeint par l'auteur par le récit violent d'une guerre dont je ne sais pratiquement rien, par les personnages de Bassam et Georges, dangereux, désabusés, cyniques, auxquels on ne peut que s'attacher. Certaines pages de Rawi Hage m'ont parfois rappeler le talent de Curzio Malaparte, la noirceur des plus belles pages de Kaputt ou La Peau.
Je n'ai qu'un tout petit bémol à apporter à ma critique : la troisième et dernière partie du roman est en rupture totale avec ce qui précède et, même si elle est aussi magnifiquement écrite, le propos paraît plus fade et moins pertinent en comparaison de ce qui précède, certains passages sont même assez capilotractés. Cette partie aurait sans doute mérité d'être plus courte et certains des personnages secondaires que l'on y croise (Roland par exemple) n'apportent rien de passionnant à mon avis.
Quelques extraits
J'ai enfourché la moto derrière Georges, et nous sommes partis vers les grande rues du centre, ces rues où pleuvaient aujourd'hui les bombes et où les diplomates saoudiens venaient jadis lever des putains françaises, ces rues que les Gre'cs de l'Antiquité avaient parcourues en dansant, que les Romains avaient envahies ; ces rues où les Perses avaient affûté leurs sabres, les mamelouks raflé le pain des villageois, et les croisés mangé de la chair humaine ; ces rues enfin où les Turcs avaient réduit ma grand-mère en esclavage. (P.14)
La guerre, c'est pour les voyous. Les motos aussi. Pour les voyous et pour les adolescents aux cheveux longs comme nous, qui portent une arme à la ceinture, roulent avec un réservoir rempli d'essence volée et n'ont nulle part où aller. (P.14)
A l'intérieur, installées dans d'antiques baignoires à la turque, leurs femmes efflanquées versaient avec parcimonie ert rudence un peu d'eau de leur seau en plastique rouge pour débarrasser leur peau brune e la croûte, mince comme celle d'un baklava, que la poussière, les odeurs, les méchants ragots des commères sirotant leurs dés à coudre de café, la pauvreté de leur mari, et la sueur qui coulait de leurs aisselles velues étaient venus former. Elles se lavaient avec la minutie des chats chrétiens qui se pourlèchent les pattes à l'ombre du moteur des petites voitures européennes suintant le pétrole capitaliste ue des travailleurs nigérians exploités tirent d'un sous-sol hanté e démons et de vers nourris aux racines d'arbres mors, étouffés par la fumée des usine et le souffle avide des ingénieurs à la peau blanche. Chats paresseux qui lézardent sous les voitures sales en contemplant la parade des chaussures italiennes, des ongles vernis, des revers de pantalons multicolores et déchirés, des talons aiguilles, des tongs en plastique, des pieds nus qui trépignent et des chevilles délicieuses chevilles nues dont viendraient s'emparer de grosses mains pour les relâcher aussitôt et mieux les reprendre un peu plus haut, remontant ainsi jusqu'à la sourc chaude qui, doucement, généreusement, se fait légère inondation fleurant l'anguille, le poisson rouge et l'eau de rose. (P.16)
Les bombes pleuvaient, les guerriers se battaient, nos ordures s'entassaient au coin des rues. Chats et chiens, gavés, grossissaient de jour en jour. Les riches en partance pour la France lâchaient leurs bêtes dans la jungle urbaine : toutous orphelins, bichons de luxe dressés à être propres, bassets portant prénom français et noeud papillon rouge, caniches frisés au pedigree impeccable, cabots chinois ou génétiquement modifiés, clébards incestueux agglutinés en bandes qui couraient les rues par dizaines, unis sous le commandement d'un bâtard charismatique à trois pattes. La meue de chiens la plus chère du monde errait dans Beyrouth, courait sur la terre, hurlait à la lune énorme et dévorait des montagnes de déchets à tous les coins de rue. (P.33)
A propos de colons en Afrique noireOn siphonnait la richesse des notables et on s'offrait leurs filles en cadeau. Personne ne nous aimait, tu comprends, mais ils avaient tous besoin de nous. Et puis, un jour, c'est arrivé. Un jour, armés de fusils sinon de machettes, les va-nu-pieds sont entrés dans la ville et nous ont chassés de nos appartements climatisés. Ils ont renversé nos chaises longues, chié dans nos piscines ornées de mosaïques, cassé en deux nos narguilés, campé dans nos salons de marbre dont les vastes fenêtres donnaient sur leurs villages primitifs, leurs bidonvilles que nous n'avions jamais remarqués, leurs égouts à ciel ouvert que nous n'avions jamais reniflés, leurs soeurs à la peau de chocolat dont le ventre nous servait de coussin et les mains blanches de serviettes où essuyer notre sperme sémitique et nos fronts dégoulinants de sueur dans nos jardins clos gardés par des molosses. (P.121)
Conclusion
Un roman fort, une excellente découverte qui fait incontestablement partie de mon top 5 de l'année 2008 (qui sera d'ailleurs très diffi-Cécile à dresser et qui, de fait, se transformera peut-être en top 10).
Un énorme merci à Chez Les Filles !