lundi 31 août 2009

Carrefour des nostalgies (d'Antoine Laurain)

Bonjour Antoine
Bonjour à celles et ceux qui, comme moi, s'étaient enthousiasmé(e)s à la lecture de Fume et tue
Bonjour les zotres


Le 3e roman d'Antoine Laurain est ENFIN paru et je le remercie chaleureusement de me l'avoir envoyé.

Hommage bowesque
ici

Le sujet

François Heurtevent était maire d'une ville de province et il vient de perdre les élections. Alors forcément il déprime et se sent désoeuvré. Il s'isole dans un appartement ayant appartenu à son mentor en politique et dans lequel il n'a pas remis les pieds depuis environ 25 ans. Il se penche alors sur son passé et plus exactement sur une photo de classe de lycée. Au cours des quelques semaines suivantes, il retrouve certains des élèves qui y figurent.

Mon avis

Je ne sais pas pour vous, mais moi, parmi toutes les choses que j'aime, il y a les adverbes, les digressions (d'où les parenthèses et inversement), les métaphores, les coquilles saint Jacques et, à la réflexion, les énumérations.

Mais voilà, même si les coquilles saint Jacques sont l'aliment que je préfère entre tous, cela ne m'empêche pas aussi d'aimer plein d'autres choses (mais un peu moins) et je n'en cuisine évidemment pas tous les jours ! Si je vous sers cette métaphore maintenant c'est parce que l'an dernier j'ai adoré quasiment d'idolâtrie Fume et Tue (bon, disons plus simplement que j'en ai parlé avec autant de passion que de sincérité et que je l'ai offert plein de fois autour de moi tant mon enthousiasme était grand) et que, forcément, l'attente envers Carrefour des nostalgies était exigente et la tentation de comparer le nouveau roman d'Antoine Laurain (le 3e) avec le précédent était quasi inévitable et forcément porteuse de déceptions potentielles comme ce fut le cas pour l'écoute de Let's dance après celle de Heroes ce qui ne m'empêche pas d'aimer ces deux chansons, de m'être cassé la voix en chantant l'une et l'autre et d'adorer Bowie, tout Bowie.

Je ne prends pas ce dernier exemple au hasard car dans son roman, Antoine Laurain évoque justement Heroes (P.177), ma chanson culte, et c'est sans doute une des choses que j'aime chez lui : cette façon d'émailler ses récits d'anecdotes et références culturelles habilement placées et sans lourdeur (contrairement à Jean Teulé par exemple). Cela va des assiettes à la girafe chères aux amateurs/trices de porcelaine ancienne à Biologie des passions de Jean-Daniel Vincent dont je parlais
ici-même avec enthousiasme la veille de lire la page 212 de Carrefour des nostalgies en passant par le louchebem (que je parle) et moult évocations qui me parlent également, qui font écho à ma propre culture sans doute nettement moins étendue et assurément moins profonde que celle de l'auteur. J'ai retrouvé cette forme de connivence intellectuelle dans chacun des livres de Laurain et c'est sans doute une des raisons que me fait les aimer : ils flattent vaguement mon égo et j'ai l'impression de savoir moi aussi vachement trop plein de trucs méga intéressants en les lisant.

Mais ce n'est pas la seule raison. J'aime l'écriture fluide, ciselée, élégante (mais sans préciosité) d'Antoine Laurain et, avec Serge Joncour, c'est sans doute l'auteur actuel dont je préfère le style. Je mets volontairement Philippe Jaenada et Annie Ernaux à part tant je trouve qu'ils ont chacun plus qu'une plume qui me plait : ils ont créé un style particulier et parfaitement reconnaissable.

Vous l'aurez compris, j'ai aimé les 300 pages de Carrefour des nostalgies et il ne m'aura fallu que deux jours pour en venir à bout mais je l'ai aimé comme j'ai aimé Ailleurs si j'y suis le premier roman de Laurain, avec quelques réserves. Alors qu'est-ce que je lui reproche en dehors de n'être pas Fume et tue ?

Tout d'abord un démarrage trop lent. L'auteur campe le décor pendant près du tiers du livre. Cette première partie n'est certes pas sans intérêt et le portrait que l'auteur brosse du paysage politique est même plutôt réjouissant mais il n'est pas nécessaire à l'intrigue qui se déroule ensuite sur un mode particulièrement linéaire qui laisse finalement peu de place au suspens (on n'est certes pas dans un polar mais quand même !) et énormément à des hasards énooooormes voire pour le moins capillotractés (on se croirait parfois en pleine recherche d'indices dans un épisode des Experts) pour lesquels l'auteur se donne lui-même l'absolution non pas dans le confessionnel où son héros pénètre pourtant mais lors d'une séance de divination où, miracle, il tire à diverses reprises la carte signifiant le hasard ! Comme c'est pratique !

Oui, bien sûr, les hasards existent dans la vie mais on en parle toujours au passé, on s'y réfère en toute connaissance des tenants et des aboutissants et on les raconte a posteriori, non pas pour les conclusions elles-même qui sont connues de l'auditoire mais pour le cheminement qui y conduit. J'aurais trouvé nettement plus subtil et intéressant que le narrateur nous explique d'emblée "voilà ce que j'ai découvert et comment" comme dans n'importe quel épisode de Columbo (on sait d'emblée qui est l'assassin, tout l'intérêt résidant ensuite non dans la réponse à la question "qui" mais dans la résolution du "comment je le sais"). Parce que, dans les faits, on devine assez vite certains des ressorts de l'intrigue, on les voit arriver gros comme des camions de pompiers sirène hurlante et, à mon avis, l'intérêt du livre ne réside pas là. Le narrateur lui-même porte finalement peu d'intérêt (voire aucun !) à certaines des révélations et découvertes pourtant énormes et bouleversantes auxquelles il est confronté. Alors on n'y croit pas et pire peut-être, on s'en fout un peu de ne pas y croire.

Vous allez dire que je fais une fixation mais tant pis, j'assume, l'auteur avait parfaitement réussi un brillant exercice de construction non chronologique dans Fume et tue et cela lui permettait une approche plus analytique qui donnait une dimension tout autre à ses personnages et à leurs agissements dont le hasard n'était pas non plus exempt.

Carrefour des nostalgies manque un peu de profondeur à l'image de ces rencontres que le narrateur organise à la chaîne avec ses anciens camarades de classe auxquels on ne s'attache pas plus que lui (pourquoi eux ? pourquoi cette classe précise (le hasard, bien sûr...) dont il ne semble d'ailleurs pas conserver un souvenir impérisable) sans autre finalité que ces moments de retrouvailles et sans aucune volonté de relations durables.

Subsiste une question qui me titille les méninges depuis fin août : Antoine Laurain n'a-t-il pas finalement écrit une 3e variante d'une même histoire, celle d'un bourgeois quinquagénaire (ce que l'auteur n'est pas – encore ?), marié, cultivé, aimant la bonne chair et les antiquités, dont la vie jusqu'ici parfait exemple d'équilibre et de réussite prend soudain un tournant inattendu et plus ou moins insolite suite à un grain de sable et qui navigue ensuite entre lâcher-prise et reprise en main. N'a-t-il pas une fois de plus tourné autour des mêmes questions sur l'identité et la dépendance, sur notre aptitude ou non à provoquer ou au contraire à subir les changements qui interviennent dans nos vies ?

Quelques extraits

J'aime bien cette métaphore supposée adressée à Chirac après sa défaite de 1988
Tu verras tu y arriveras. La prochaine fois probablement. Tu y arriveras comme y arrivent ces filles très chouettes que l'on trouve très sympathiques, mais avec qui on n'a pas envie de passer la nuit. Il vient un soir où l'on se sent seul et on baise avec elles, parfois c'est une révélation. Tu seras peut-être une révélation pour la France, le jour où elle aura envie de baiser avec toi... Attends cette nuit-là. (P.25)

A propos d'annonces immobilières haut de gamme
Il était impossible que tous ces gens vendent dans la joie et le profit. Quelque chose de plus sombre flottait au-dessus de chaque annonce, une grande dépression financière qui amenait les classes moyennes aisées à se séparer de leur appartement, de leur maison, du lieu qui avait été le leur pendant peut-être plusieurs générations. Ils effectuaient ces transactions à la manière du homard qui abandonne sa pince en combat sous-marin pour préserver sa vie. La pince repousserait, elle mettrait longtemps et serait plus petite, mais c'était bien ça dont il s'agissait, d'un sacrifice. (P.100)

En retrouvant un ami de longue date. J'adore cette forme d'humour décalé
- Quelles sont les nouvelles ? lui demandai-je après un silence.
- La chienne est pleine, me répondit-il comme s'il s'agissait d'une fatalité.
Il me sembla que toutes les dernières fois où j'avais croisé Armand, il m'avait annoncé la naissance prochaine de chiots, que lui et sa femme ne pouvaient d'ailleurs jamais garder. Ils les distribuaient autour d'eux.
- C'est vrai remarqua-t-il, elle doit calculer ses rapports sexuels en fonction de nos rendez-vous.
L'idée semblait l'intriguer et il paraissait à deux doigts d'y croire un peu. (P.120)

Quelques liens

Ma critique de Ailleurs si j'y suis
Ma critique de Fume et tue
Carrefour des nostalgie : critique élogieuse chez
Daniel (avec liens vers d'autres critiques), plus nuancée chez Papillon (j'acquiesse sur pas mal de points) et assez factuelle chez Amanda (avec plein de liens aussi)
Infos
sur le site des Editions Le Passage.

Conclusion

Ma lecture fut agréable et légère comme certains vins que l'on a plaisir à boire frais l'été mais Carrefour des nostalgies n'est pas un Romanée Conti et ce roman ne me marquera pas durablement. J'attends le 4e roman de Laurain et d'ici là, je continue à dire, écrire, répéter tout le bien que je pense de son écriture en général et de Fume et tue en particulier que j'ai dégusté comme un Pétrus. J'encourage tout le monde à lire ce livre RE-MAR-QUA-BLEUHHH (et je pèse mes mots).

9 commentaires:

La Pyrénéenne a dit…

je lis ... enfin ...Fume et tue ! Ton billet de l' époque , entre autres , m'avait mis dans un état proche du besoin irrépressible mais ... impossible à trouver à chaque fois que je l'ai cherché ! En en reparlant suite à la sortie de carrefour des nostalgies , une bonne âme blogueuse ( ah ... vive les blogs de lecture ! ) a eu la gentillesse de me l' envoyer ...

keisha a dit…

Jamais lu!!! Pourtant ...
Figure toi que je l'ai vu "en vrai " hier au pique nique (voir chez Caroline) où il a lu avec brio un passage d'un harlequin (sympa, hein?)

Cécile Qd9 a dit…

Difficile à trouver je ne sais pas, moi je l'ai d'abord reçu, ensuite j'en ai acheté d'autres exemplaires au salon du livres et maintenant, quand j'en veux d'autre, je les commande tout simplement à mon libraire préféré.

En tout cas j'espère que tu aimeras le livre : c'est toujours délicat de lire un roman qui a été encensé.

Cécile Qd9 a dit…

@ Keisha : lol j'imagine la scène

Cécile Qd9 a dit…

@ Keisha : cela dit, si j'avais été au courant de ce pique-nique, j'aurais volontiers été voir ça de plus près et rencontré quelques blogeuses que je lis régulièrement. Mais bon...

liliba a dit…

Tu me parles encore si j'avoue que je n'ai toujours pas lu cet auteur ?

François a dit…

D'accord avec vous sur certaines "coîncidences" capillotractées et sur la conclusion : lecture agréable mais pas impérissabel, comme un ménetou-salon frais au mois d'août.

Vous me donnez envie avec Fume et tue et, n'était-ce le challenge que j'ai décidé de relever sur la rentrée littéraire, je l'attaquerai illico...

Hugues a dit…

Merci Cécile, je viens de finir ce nouveau Laurain, et ta critique en est comme souvent excellente ! Malgré tout, celui-ci m'a autant enchanté que "Fume et tue", et peut-être même un peu plus ! Je trouve la galerie de personnages notamment, même si certains ne sont qu'entraperçus, plus prenante que dans le précédent :-)

Un grand merci en tout cas pour m'avoir fait découvrir cet auteur !

Cécile Qd9 a dit…

@ Liliba : ... (traduction : non)

@ François : attaque-le illico pour te reposer entre deux livres du challenge ! En plus il se lit vite ! Et pourquoi ne pas lire aussi carrefour des nostalgies dans le cadre du challenge justement ?

@ Hugue : ravie que tu aimes.