jeudi 4 septembre 2008

Le non de Klara (Soazig Aaron)



Bonjour Klara
Bonjour Soazig
Bonjour les zotres


Mes plus zélé(e)s zafficionados le savent, j'aime les témoignages, récits et romans évoquant la 2e guerre mondiale.

Lorsque "Le non de Klara" de Soazig Aaron est apparu lors d'un dîner livres échanges, j'ai salivé. Je l'ai dévoré mais je suis restée ô combien sur ma faim.


Le sujet
Klara est une rescapée des camps. Elle rentre à Paris un mois après la plupart des autres survivant(e)s et est hébergée chez son frère et sa belle soeur. Cette dernière tient un journal du retour de Klara, elle note les bribes de confidences et les non-dits de Klara mais aussi ses propres impressions face à ce témoignage et surtout face à cette femme si différente de la Klara qu'elle connaissait.


Mon avis
Tout d'abord, je dois dire que je suis nettement plus exigente vis à vis d'un livre qui traite d'un sujet grave que vis à vis d'un roman léger car je considère que le choix de certains sujets confère une responsabilité, des devoirs, à celui ou celle qui décide de les traiter.

Le moins que l'on puisse dire est que je n'ai pas été emballée du tout par le roman de Soazig Aaron qui reçut la bourse Goncourt du premier roman et le prix Emmanuel-Roblès en 2002. Cela dit, il m'est assez difficile d'expliquer précisément ce que je reproche au livre.

On m'avait dit que ce livre était dur, boulersant, je l'ai juste trouvé superficiel, artificiel et confus. Bien sûr, la problématique est intéressante pour qui s'intéresse un minimum (ou pas d'ailleurs) aux histoires de déportations et aux témoignages de rescapé(e)s. Mais voilà, Soazig Aaron n'est ni Jorge Semprun, ni Primo Levi, ni Robert Antelme. Elle est née bien après les camps et ses mots sonnent faux. Elle accumule les généralités, les soupoudre de formules lues ailleurs (et mieux) sur Dieu, la mort, la survie, etc., les truffes d'anecdotes édifiantes mais jamais elle ne réussit à donner à son récit la force et la vérité qui transpirent à chaque page de "Le mort qu'il faut", "Si c'est un homme" ou "L'espèce humaine".


Soazig Aaron a eu deux idées qui a priori pouvaient paraître habiles pour pallier son propre manque de vécu sur le sujet :
- faire raconter l'histoire de Klara par un tiers, par une personne qui elle-même n'est pas rescapée des camps
- décider que le français ne serait pas la langue maternelle de Klara et lui donner la nationalité allemande.

Hélas, on sent les grosses ficelles et les trucs d'écrivain cherchant à biaiser les difficultés. Il en résulte moult facilités sur la forme (j'ai l'impression que le livre recèle plus de points de suspension que de mots), une superficialité agaçante du fond (c'est tellement facile de dire que Klara ne veut pas parler de ceci ou de cela quand on n'a pas soit même les épaules d'aborder telle ou telle question). Soazig élude son sujet en permanence.

De plus, le rythme haché du texte (des bribes éparses, des notes, des réflexions saisies sur le moment) et la langue employée, ce faux français approximatif (adjectif révélateur) supposé parlé par une étrangère m'ont rapidement gonflée. Là encore, le procédé est bien pratique pour rester le plus vague possible, pour se dispenser de trouver le mot exact, le ton exact, l'émotion exacte. Certaines phrases sautent du coq à l'âne, sont plus que jargonnantes voire ne veulent rien dire du tout (ou alors je suis idiote ce qui est possible aussi).

En outre, le récit est très brouillon, sans réelle structure. Comme il prend la forme d'une sorte de journal, des noms sont cités en dehors de tout contexte et on on peine à savoir qui est qui. De fait on ne s'attache à personne, surtout pas à ces deux femmes, surtout pas à Klara. D'ailleurs le livre est très peu analytique, les portraits sont à peine esquissés, les personnages manquent terriblement d'épaisseur, restent des phrases qui, de fait, sonnent plutôt faux.

On doit reconnaître que Soazig Aaron a réussi un tour de force sur le plan formel : la langue approximative de Klara est très crédible et on a vraiment l'impression de lire un journal. Seulement voilà, l'intérêt s'arrête là. Imaginons que vous écriviez un journal en recueillant le témoignage d'une étrangère s'exprimant en français :
- vous écririez dans votre langue maternelle et ne reproduiriez pas les approximations de vocabulaire et fautes de syntaxe,
- Si vous songiez à publier le résultat, vous le remettriez en forme avant. Vous le reliriez, vous modifiriez sa structure et vous ajouteriez un contexte, des précisions (sur les lieux, les personnages, etc.) pour qu'il passe d'un usage personnel, intime à un texte destinéà la diffusion.

Soazig Aaron est restée au niveau de l'exercice de style et c'est bien dommage.


Quelques extraits

Un exemple type du degré de superficialité du texte et de son rythme.
Moi : Et leurs noms ?
Elle : ?
Moi : leurs prénoms... tes amies...
Elle : de jolis prénoms toutes les trois.
Rien, nous l'avons compris, ne lui aurait fait dire ces prénoms.
Moi : Tu ne veux pas les dire, c'est ça ?
Elle : Oui, c'est ça. Elles n'ont pas eu eu de sépulture. Avec moi, disparaîtront leurs noms. Leurs noms mourront quand je mourrai... mon voyage, c'est en partie pour elles que je l'ai fait. J'ai été à Krakow, à Praha, à Linz et dans toute l'Allemagne pour moi qui suis autant morte... survivante on dit... sous-vivante c'est mieux... il faut penser aux mots... sous-vivante, c'est juste... j'ai regardé le ciel au dessus de Krakow, au dessus de Praha, au dessus de Linz en pensant à elles. Trois funérailles que j'ai officiées toute seule... leur souvenir dans ma pensée a été leur cercueil... je contiens leurs noms et je suis leur monument... voilà. (P.58)

J'aime bien cette métaphore littéraire. Il faut dire que j'aime bien les métaphores et j'aime bien la littérature... ;o)
L'ignominie... tu vois, c'est comme ces gros bouquins qu'on ingurgitait toutes les deux, tu te souviens, on lisait à notre faim à cette époque, et on se demandait pourquoi l'auteur ne tuait pas ses personnages à la vingtième page, tant leur vie était atroce, si ce n'est pour le plaisir de les faire agoniser tout au long du récit et la prétention d'arriver au bout de quatre cents pages à les faire tenir debout pour alimenter son orgueuil, alors j'ai été aussi cet écrivain, sauf que le personnage c'était moi, que j'ai duré des pages et des pages, et je ne sais pas pourquoi je ne me suis pas laissé mourir au vingtième jour, sauf la prétention d'arriver au bout de ce gros roman, du plus mauvais des romans qui ait été écrit, avec des péripéties de mauvais roman et la même absurdité, la même dérision, la même bêtise. (P.71)

Inctellectualisation embrouillée et étrangement paradoxale à la limite du syllogisme parfois. Certaines phrases sont même vides de sens.
Pardonner quoi et à qui, à quel sujet, on ne sait pas. Je te l'ai dit, rien ne s'applique à ce monde. Non, le pardon n'a aucun sens. Un mot peut-il imposer un sens à ce qui n'en a pas... est-ce souhaitable... ceux qui diront seront dans l'effort continuel pour tenter l'approximation et dans la perpétuelle interrogation, est-ce que je mens ? Pour ce qui me concerne, je n'aurais pas trop du reste de ma vie pour savoir que je n'ai pas rêvé... un cauchemar d'idiot, de détraqué... parce que nous avons été traqués, même les privilégiés... mais en sortant, nous sommes détraqués, on dit cela en français... nous sommes détraqués parce que nous avons subi la traque. Après la traque, la détraque... alors le pardon... l'idée de pardon... ce serait se disculper, me disculper, et cela, je ne suis pas autorisée... ce serait me pardonner à moi-même... cela n'a aucun sens. A ce degré d'ignominie, la pensée même de pardon s'effondre, elle est obscène. Il y a statu quo pour que le monde continue à vivre. L'idée de pardon tuerait le monde... Je suis maintenant dans l'incompréhension du monde, dans l'incroyance du monde... et l'incroyance de moi. Je suis devenue un monde auquel je n'ai pas accès, que je ne peux pas comprendre... La vengeance non plus... imagine, venger quoi, qui, à un tel niveau d'abjection et de cynisme, non. Que tous les gens qui ont à voir avec cela se débrouillent. Les numéros qu'ils ont tatoués vont se transférer sur eux et leurs descendants, c'est ce que j'imagine... mais ce n'est pas sûr, et cela ne me regarde pas... (P.92/93)

La narratrice (et c'est tout le problème du livre car c'est aussi ce que fait l'auteure !)
J'ai parfois tendance à gommer ce qui me gêne. Quand c'est trop fort, j'escamote, mais le peu que j'écris me fait un bien fou. (P.96)

Apparemment j'aime aussi les métaphores cosmétiques
Les bâtiments en ruine de Hiltler, c'est beaucoup mieux. Sur les façades, c'est comme du rimmel qui a coulé, ça a flambé, salement flambé. Cela fait des mausolées de mauvaise humeur, mais c'est comme si l'espace était heureux de retrouver l'air. Le sol maintenant respire mieux. Au fond, c'est bien toutes ces ruines, c'est bien pour les allemands qu'ils puissent rebâtir du neuf. Ils auront assez à faire avec ce qui ne changera jamais, je veux dire leur langue, leur climat, leurs souvenirs... (Silence.) Maintenant les allemands devraient s'étriper, mais je les connais, ils ne le feront pas, ils ne seront même pas désespérés. (P.110)

Sur le sujet et sur tant d'autres complètement survolés dans ce livre, lire plutôt le remarquable "L'écriture ou la vie" de Jorge Semprun.
Là-bas, toutes les philosophies ont avorté, toutes. Un croche-pied des nazis... pas de nous, même pas de nous. Ceux qui sont revenus sauront à jamais ce que sont les extrêmes, toutes les possibilités des extrêmes, et même l'entre les extrêmes, toutes les nuances de l'Etre. Alors, plus de philosophie. Jamais. Comme Dieu est parti en fumée, la philosophie est partie en fumée, toutes les parties de la philosophie, la morale, l'esthétique, etc., tout, tout s'est effondré là-bas, rien n'a tenu, et c'est tant pis. Tous les systèmes philosophiques, bien huilés, bien cadrés, bien polis, toutes les triturations savantes et fumeuses, les bricolages maniaques infantiles, naïfs et prétentieux. Pffft ! à la poubelle ! place nette, il n'y a plus rien... (P.119)

Même en ayant le contexte de ce paragraphe sous les yeux (la différence entre les prisonniers politiques, les résistants d'une part et les victimes de la Shoa de l'autre, ceux qui savent pourquoi ils sont là et les autres... : thème intéressant s'il avait été développé, là encore préférer Semprun ou d'autres), je ne vois pas le rapport avec ce qui précède et ce qui suit et dans l'absolu, je n'y comprends RIEN. On dirait un des bla-bla de conclusion dont Simon Monceau (le double au rabais de Jerry Springer qui lui-même ne vole pas très haut) a le secret à la fin de l'inénarrable émission belge "ça va se savoir".
Je n'ai pas eu le choix d'avoir le choix... savoir... si j'avais eu le choix... je veux dire comme n'importe quel allemand... savoir pour donner une réponse, sinon impossible de répondre à la question... est-ce la bonne question... et qui demande réponse. Sans réponse, la question demeure, elle existe et la réponse aussi, même s'il faut du temps, la réponse est là forcément... peut-être aussi faut-il traverser l'intermédiaire d'une réponse-hypothèse en attendant le courage d'une réponse lucide... et vraie. (P.130/131)



Conclusion
Le livre fait moins de 150 pages et pourtant, j'ai eu le temps de m'ennuyer. Sur un tel sujet c'est limite impardonnable.

1 commentaire:

admin a dit…

Sur le thème de la IIWW, je ne peux que conseiller ce bouquin paru récemment chez Folio Poche : Une femme à Berlin : Journal 20 avril-22 juin 1945.

Désolé de me faire un peu de pub sur ton blog mais j'ai chroniqué ce bouquin sur un site ami : http://culturopoing.power-heberg.com/Blogs/Livres.php?Id=1106