vendredi 22 août 2008
Montecore, un tigre unique (de Jonas Hassen Khemiri)
Bonjour à Jonas
Bonjour aux papas
Bonjour aux zotres
Tout d'abord, un immmmmense merci aux éditions du Rocher pour m'avoir envoyé ce livre et permis de découvrir un petit bijour d'humour et un morceau d'anthologie de littérature contemporaine. Comme promis, j'apporterai ce livre au pique-nique livres échanges du 26-08 et je l'offrirai à un(e) des habitué(e)s disposant d'un blog en lui demandant de rédiger à son tour une critique à son sujet. Il faut ABSOLUMENT que le bouche à oreille virtuel fonctionne !
Le sujet
Jonas, un jeune écrivain métisse entreprend de raconter la vie de son père. Il est aidé pour ne pas dire poussé par Kadir, l'ami d'enfance de ce dernier.
Le livre évoque sur deux décennies l'histoire de ce père, orphelin tunisien, photographe passionné aux rêves démesurés, qui tombe amoureux d'une suédoise, l'épouse et tente de s'intégrer dans un pays en proie à un racisme qu'il préfère ne pas voir.
Le récit est un mélange habile, tendre, émouvant et désopilants, de récits du fils (dont on imagine qu'il ressemble étrangement à l'auteur lui-même - mais on se fout de savoir jusqu'où), de lettres du père, de témoignages de son meilleur ami resté en Tunisie.
Mon avis
Il y a des romans qu'on aime, d'autres qu'on n'aime pas. Indépendamment de nos propres goûts, il est des livres qui apportent incontestablement quelque chose à la littérature, d'autres moins ou pas du tout. L'idéal est évidemment de tomber (sans se faire mal) sur un livre qu'on aime ET qui apporte quelque chose à la littérature. "Montecore, un tigre unique" fait partie de ces livres marquants que j'ai refermés avec regret et la sensation de les avoir lu trop vite.
Ce livre paru chez "Le serpent à plumes" est aussi curieux et attractif que le nom de son éditeur. Il a été vendu à 450.000 exemplaires en Suède et on comprend vite pourquoi.
En plus d'être mignon (ce qui ne gâche rien mais n'a aucun rapport avec la choucroute, je vous le concède), Jonas Hassen Khemiri fait montre d'une imagination débordante et très personnelle et surtout d'une virtuosité d'écriture qui me condurait presque (presque) à prendre des cours de suédois (nan, je déconne). Cela dit, j'ai vraiment un regret : je ne serai jamais capable de découvrir cette prose inventive en V.O. (mais je salue comme il se doit le travail des deux traducteurs qui, j'imagine, ont dû être confrontés à un véritable casse-tête).
A partir du suédois (enfin je suppose), l'auteur invente un langage très particulier (basé paraît-il sur le français et l'arabe) à base de détournements syntaxiques, de néologismes, de métaphores souvent cocasses ou poétiques. Le résultat est suprenant, toujours compréhensible, savoureux, très tendre et jamais pesant ou ridicule. Khemiri réussit une prouesse qui évoque un peu ce que fit Anthony Burgess dans L'Orange Mécanique ou Emile Ajar dans Gros-Câlin ou encore John Kennedy Toole dans la Conjuration des Imbéciles.
Au delà du style, la construction même du livre est passionnante, digne du thriller le plus alambiqué et là encore source de trouvailles humoristiques et décalées. Le fils et le meilleur ami du père qui sont sensés écrire une biographie à 4 mains n'ont visiblement pas les mêmes ambitions pour ce livre et encore moins les mêmes souvenirs. L'un enjolive, édulcore, l'autre noircit le trait et la synthèse entre les deux versions s'avère délicate. Le/la lecteur/trice se doute bien que la vérité se situe quelque part entre deux perceptions d'un même homme, d'une même situation, entre deux âges, deux mondes et deux cultures.
Car c'est là le troisième attrait du roman (et non des moindres) : il possède une passionnante dimension sociologique qui prend de plus en plus de place au fil des pages quand les souvenirs d'enfance du fils font place aux révoltes d'une adolescence vécue comme un déracinement, une lutte pour revendiquer son identité et trouver sa place dans une société raciste, moment où le père passe du statut de héros vénéré à celui d'énigme (on pourrait dire d'étranger) pour son propre fils. Plus que deux générations, ce sont deux conceptions du monde qui s'affrontent entre volonté d'assimilation et difficultés d'intégration.
L'auteur a l'intelligence de ne jamais donner de leçon, de ne jamais tomber dans le manichéisme et de laisser le/la lecteur/trice tirer ses conclusions de sa lecture et la prolonger avec ses propres réflexions. C'est selon moi ce à quoi devrait tendre tout roman qui se respecte.
Sur le net
La présentation de l'éditeur est intéressant et très juste. On retiendra notamment ceci :
Montecore a été récompensé par le prix P O Enquist et était finaliste pour le August literary award. Montecore a reçu aussi le prix Sveriges Radio’s Roman, prix du “meilleur roman” 2007. Le jury a déclaré : "Because Jonas Hassen Khemiri leaves his mark on every single word in Montecore in an inspirational “transpiration” of creativity. Montecore is a beautiful, melancholic but also wonderfully funny book that depicts Sweden in a unique light, making it hard to think of anyone who shouldn’t read it."
Le site de l'auteur est ici (en suédois mais certaines parties sont traduites en anglais).
Je vous conseille l'interview de l'auteur par Anne-Sophie sur la Lettrine (Merci pour l'info Mister In Cold Blog). Cela dit (comme souvent) je suis contente de l'avoir vue après avoir lu le livre plutôt que l'inverse.
Conclusion
Il faut évidemment vous précipiter sur ce livre aussi unique que Montecore. Personnellement je compte l'offrir à quelques unes de mes amies.
Quelques extraits
Kadir évoque l'enfance du Père
Tous leurs parents et leurs frères et soeurs avaient été éliminés, suite aux coups de filet efficaces des troupes françaises qui avaient permis d'arrêter de nombreux terroristes présumés. (Obs. : ne mets pas trop de tragique dans les histoires des enfants de ce livre. Focalise-toi sur l'arrivée mythique de ton père, plutôt que sur les millions de morts consécutifs à l'oeuvre de civilisation de la France. Pour faire une succulente omelette, il faut bien casser quelques oeufs. (P.17/18)
Des larmes emplissaient fréquemment ses yeux, lui rappelant des images toujours voilées par un rideau flou. Je tentais de lui verser du baume au coeur, mais seules certaines tristesses sont consolables. D'autres pas. Ceci est la loi tragique de la vie. (P.21)
A propos de la ville de Jendouba
Mais avant tout tu te rapelles mamie Cherifa qui était si grosse qu'elle franchissait les portes de travers. Cherifa qui t'embrassait pour te souhaiter la bienvenue, qui t'appelait Felouse, qui te pinçait les bourrelets autour de la taille pour voir si tu avais assez de graisse sous la peau et qui grondait toujours les papas parce que tu mourrais pratiquement de faim à cause de toute cette nourriture suédoise bizarre. Et tu te rappelles papi Faizal, cet instituteur du village en retraite avec sa mallette de médecin. Il défendait toujours Jendouba en insistant sur le fait que cette ville avait beaucoup de ressemblance avec New York. Ces deux villes, par exemple, se situent toutes les deux rpès d'un fleuve. Ces deux villes sont gouvernées par des idiots. Ces deux villes ont des taxis jaunes. Ces deux villes ont de gros problèmes avec leurs déchets. Et dans ces deux villes il est difficile de se perdre - New York a son système de losanges et nous avons notre système alphabétique génial et c'est là que Faizal se met à sourire et sa moustache blanche dessine un deuxième sourire au dessus de ses lèvres, parce qu'il n'a évidemment pas besoin d'expliquer qui était l'oncle de se cousin qui avait conçu le réseau de Jendouba...
Et ces deux villes ont en plus acquis un grand nombre de surnoms. New York a "The Big Apple", "The Melting Pot", "The World's capital, "The City That Never Sleeps". Jendouba a "Trou de cul", "Creux de l'aisselle", "Le sauna", "L'appendice", "le Cul d'âne", "Le Gril", "La cuisinière", "Le four" ou peut-être l'expression ironique des papas, "le Compartiment Congélateur". Et c'est seulement quand les papas veulent jouer l'académicien qu'ils disent que vous allez passer l'été dans l'"Anus Rectum". (P.22/23)
Au cours d'une séance photo
Ma surprise fut des plus grandes quand le Grec quitta son poste derrière l'appareil photographique pour montrer à ton père comment il fallait déboutonner et enlever ses jeans de gigolo top moderne afin de garantir une meilleure qualité photographique. Ton père répliqua par une agression explosive et le résultat fut qu'un nez grec saigna à flots, qu'un pied de ton père visita le ventre du Grec et que la bouche de ton père rajouta une salve de salive sur le cou du Grec alors que celui-ci gisait à terre et toussait. Suivit un tumulte turbulent où des mains grecques cherchèrent à capter ton père qui s'esquiva d'un saut à l'effectivité vandammienne puis servit de nouvelles frappes de poings et de pieds accompagnées d'une cascade d'insultes qui dressaient l'image d'une mère grecque gagnant sa vie en se prostituant et celle d'un Grec ressemblant à un chien errant. (P.48/49)
Une des métaphores dont l'auteur a le secret
Ton père buvait tout ce savoir avec la soif d'un champignon déshydraté. (P.58)
Nous passames pour la première fois un été marqué par une liberté rose de jeunesse s'exprimant par des fêtes à la plage, du haschisch, de la danse en discothèque et des visites nocturnes récurrentes dans des chambres d'hôtel inconnues. Je ne mens pas - les filles touristiques étaient suspendues devant nous comme des raisins qui aspirent à goûter nos bananes. (P.59)
Il récitait des poèmes d'amour qu'il avait écrits lui-même le visage tourné vers la mer au lieu de les présenter à des touristes allemandes. Sexuellement, il était TOUT A FAIT solitaire (ce qui me permettait d'avoir pour ma part une grande variété sexuelle).
A propos des cours de suédois
Par contre, tu es peut-être correct, quand tu dis que les règles ne devront pas prendre trop de pages dans notre livre. Afin de créer un opus de maître global, il se présente la possibilité d'injecter ces règles linguistiques SEULEMENT dans la version suédoise. Dans la version française, nous laisserons ton père louer la Tour Eiffel, Jacques Brel et les essais atomiques sur des territoires étrangers, alors qu'il est en train de savourer une baguette fourrée au brie. La version australienne pourra fantasmer sur un client qui entre dans l'atelier et raconte ses exploits de chasseur de kangourous. Dans la version sud-américaine, un Indien pourra jouer une mélodie sur une flûte de Pan. Pour les lecteurs indiens, nous pourrons présenter la recette de poêlée au curry de ton père ; pour les Asiatiques jaunâtres, nous pourrons injecter un passage où ton père s'exprime positivement sur les jolis petits nounours, les jeux d'ordinateur, le poisson cru, les luttes de sumo, les hommes travailleurs et les femmes obéissantes. Qu'en dis-tu ? (P.232)
Il est un fait tragique de la vie, que tout amour trouve un jour une routine normalisée. Même l'amour qui commence par une vibration de la terre, des feux d'artifice dans le ciel (...). Même un amour qui pulvérisait apparemment tous les murs afin d'avoir la possibilité d'exister. Un jour, tu te réveilles, et la personne qui te collait la langue nerveuse au palais et qui te causait des attaques de sueur tellement tu la voulais se trouve tout à coup à côté de toi dans le miroir des toilettes, avec une lourde taille et des seins qui tombent, et elle se lave les dents avec un fil dentaire en un sourire affreux. Un jour tu te réveilles, et ce joli jouvenceau, qui déclamait de la poésie à la lumière des flambeaux et avait l'envie brûlante de modifier l'art, est tout d'un coup un photographe de clébards corpulent. Ainsi est le déroulement tragique de la vie (...). (P.335)
Petite piqûre de rappel sur ce que je pense des critiques de livres sur les blogs.
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5 commentaires:
Peut-être n'avais-tu pas visionné l'interview de Jonas Hassen Khemiri qu'avait fait Anne-Sophie de La Lettrine (c'est ici : http://www.lalettrine.com/article-20359790.html. Elle m'avait donné furieusement envie de lire son roman et ton enthousiasme débordant ne fait qu'attiser mon envie !
Ah non je n'avais pas vu mais merci pour le lien, je vais regarder ça de ce pas virtuel !
Impatiente de connaître ton avis sur Montecore...
Merci Incoldblog du signal...
Ravie que ce livre plaise autant. C'est l'un de mes préférés de l'année 2008, le plus original en tout cas.
Anne-Sophie soulève un point important : qu'on aime ou pas (mais est-ce possible ?) ce livre, on ne peut nier le travail sur l'écriture et l'originalité de la forme.
J'ai mis mon billet en ligne ! J'ai trouvé ce livre terriblement attachant ! à ce soir !
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