jeudi 11 octobre 2007

Qui s'y frotte (s'y pique)


Bonjour aux élégant(e)s
Bonjour aux hérissons
Bonjour aux zotres
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La première fois que j'ai entendu parler de l'élégance du hérisson de Muriel Barbery c'était au mois de mars ou avril de cette année sur Quoide9 (pas le blog mais la liste de discussion culturelle). Le titre du livre était attractif et le commentaire fort élogieux. Il fut bientôt suivi, sur Quoide9 et ailleurs, d'autres avis tout aussi enthousiastes et, comme tout le monde (ou presque), j'ai eu envie de lire ce livre.
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Lorsqu'une amie me l'a prêté les larmes aux yeux en me disant "tu vas voir, tu vas adorer", j'ai commencé à me méfier un peu. Non pas que je doute des goûts littéraires de cette personne mais parce qu'en bonne accro aux lois de Murphy, je sais qu'il y a des phrases qu'il ne faut pas prononcer.
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Et j'avais raison de me méfier ! Je n'ai pas aimé le livre, il m'a tout de suite agacée et avec le recul je me rends compte que ma lecture me laisse un souvenir de plus en plus critique ; ce que je ne me suis pas privée de dire, d'écrire, de répéter tout d'abord sur ma liste Quoide9 dans un message du 04/05/07 puis sur les différents blogs littéraires que j'ai visités ces temps-ci et qui, presque tous, encensent le roman de Barbery. Voici grosso modo les raisons pour lesquelles je n'aime pas l'Elégance du Hérisson.
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Plusieurs choses m'ont gênée dès les premières pages de lecture.

1 - Un ramassis de préjugés
Tout d'abord je n'aime pas le présupposé de départ, soutenu par l'héroïne elle-même, selon lequel une concierge serait forcément crétine, sans goûts, accro à TF1 et André Rieux, quasi analphabète et incapable d'apprécier des mets ou des mots raffinés (tout au moins dans le regard d'autrui). Il y a là des relents de lutte des classes d'un autre âge et des a priori ancrés, martelés comme fatalement immuables qui me choquent. Sous peine de dénoncer un travers, Muriel Barbery tombe tout de même largement et complaisamment dedans. J'ai connu ce genre de préjugés toute mon enfance et je ne le supporte pas/plus. Je suis étonnée que l'auteure, pourtant intelligente à n'en pas douter, n'ait pas elle-même été choquée et freinée par le sophisme, la contradiction quasi morale contenue dans le thème-même de son livre (admettons qu'elle soit opportuniste) et je suis encore plus étonnée que ce point ne dérange pas plus de lecteurs/trices...

2 - Des personnages tout sauf crédibles
Passons sur la concierge, oublions le riche japonais et concentrons nous sur le personnage de Paloma, surdouée de 12 ans. Si l'auteure en avait fait une étudiante de 20 ans, il n'y aurait rien eu à dire mais une gamine de 12 ans, certainement pas !!! Ce décalage génère des situations qui sonnent faux pour ne pas dire des pages ridicules... Même en reconnaissant à Paloma une intelligence et une maturité hors norme, comment prendre une seule seconde au sérieux ce que Barbery écrit en son nom ? Certaines réflexions sont aussi crédibles que l'annonce de mon prochain mariage avec Georges Clooney (c'est Michelle Pfeiffer qui serait contente pourtant de gagner son pari matrimonial) ou celle de ma nomination à la tête du FMI à la place de Strauss-Khan.

3 - Trop de verbiage alambiqué
On oscille constament entre récit des événements et réflexions des protagonistes... Dans l'absolu cela ne me gêne pas et ce n'est pas le premier ouvrage du genre, je viens d'ailleurs de terminer un excellent polar noir qui fonctionne sur ce principe : "la bête et la belle" de Thierry Jonquet. Je pense par exemple aux fourmis de Werber ou à ce best seller nordique que je n'avais pas aimé parlant de philo et dont le titre était, je crois "le monde de Sophie". Mais voilà, L'élégance du hérisson ne possède pas l'originalité et le foisonnement des Fourmis mais il possède les mêmes faiblesses (selon moi) que le livre de vulgarisation de philo : un côté un peu naïf et donneur de leçon rapidement gonflant.
Barbery possède en outre un goût prononcé pour les digressions interminables et alambiquées (pour ne pas dire prétentieuses, indigestes et, passez-moi l'expression "passablement imbitables") sur des trucs sans grand intérêt pour aboutir à des morales ou aphorismes à deux balles qui font retomber le tout comme un soufflé. On se dit alors (moi en tout cas je me dis), "bon sang, tout ça pour ça..." Donc, ça, ça m'agace, j'ai l'impression d'être prise pour une demeurée. Ca m'insupporte qu'on me ponde des pages et des pages de prose pompeuse, de minauderies sémantiques indigestes pour aboutir à des formules creuses, des truismes ou des sophismes (selon les cas) comme :
"car le futur ça sert à ça : à construire le présent avec des vrais projets de vivants" (p.137 - dixit Paloma... 12 ans toujours),
"Car l'art, c'est l'émotion sans le désir" (p.220 - je ne suis pas du tout d'accord sur le fond et je crois que le désir est au coeur de l'art mais peu importe)
"l'éternité, cet invisible que nous regardons." (p.274 - Rrrr, je ronfle déjà).
Tu parles, Charles, on dirait des sujets pour bac blanc de philo.

4 - Un sentiment de déjà lu parfois
Sur le plan de la forme, du fond, des personnages, de certaines réflexions, il y a une certaine forme de fouillis et/ou de délayage, de côté touche à tout un peu bordélique et pas assez abouti qui me fait penser d'une part que ce livre est très superficiel malgré ses ambitions/prétentions et surtout que j'ai déjà lu ça ailleurs en mieux. On a l'impression que Barbery a puisé son inspiration chez plein d'auteurs différents, qu'elle s'en est imprégnée et j'ai songé pêle mêle (outre les 2 cités au point 3) à Pennac, Jaenada, Beigbeder, Coehlo et quelques autres (j'aurais vraiment dû noter au fur et à mesure). Pennac a plus d'imagination (et Barbery est encore plus gnan-gnan), Jaenada est plus drôle, Coehlo tout aussi moralisateur et démonstratif mais nettement plus subtil et d'une lecture facile. Ca m'a fait aussi penser à Marc Lévy (mais en mieux quand même) et pour moi ce n'est pas du tout une référence...

5 - Un sujet creux
En soi, l'histoire n'est pas passionnante, elle est même limite crétine et aussi peu probable que les personnages (voir point 2).
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6 - Un récit mal construit
Le chapitre "soeurs" n'intervient qu'à la page 310 alors que c'est lui qui apporte une certaine cohérence au roman et un début de chair aux personnages. C'est lui qui a fait, qu'enfin, je suis entrée dans le récit. Il était temps !!!
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7 - Un style artificiel
L'auteure manque terriblement de simplicité, elle se regarde écrire comme d'autres s'écoutent parler. On sent le truc, l'application, la technique littéraire et les références affichées à toutes les pages et c'est un peu assomant (défaut assez répandu chez les jeunes auteurs). Elle ne commence à se lâcher et à écrire vraiment que dans les 30 ou 35 dernières pages et là, on entrevoit tout ce que ce roman aurait pu être avec un peu plus de simplicité et une autre construction (cf. point 6).
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Après avoir lu ce qui précède, vous allez penser que j'ai la dent dure. Certes. Mais comme je l'ai dit, j'étais toute prête à adorer ce livre et j'ai lu à son sujet moult éloges dithyrambiques. Du coup, j'en veux un peu à l'auteure de ne pas avoir tenu les promesses de régal littéraire qu'on m'avait faites en son nom et je pense qu'il est temps de faire entendre un sérieux bémol dans ce concert quasi unanime de louanges virtuelles.
Cela dit, le tableau n'est pas totalement noir et voici quelques raisons d'aimer l'Elégance du Hérisson.
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8 - Une jolie fin de roman
Alors que tant de livres s'essouflent et proposent des fins décevantes, Muriel Barbery réussit le prodige de faire l'inverse : un bouquin assez exaspérant qui finit nettement mieux qu'il n'a commencé. C'est à la fois très étonnant et très risqué parce qu'on peut être tenté de refermer le roman avant d'atteindre ces fameuses 30 ou 35 dernières pages (déjà mentionnées au point 7) qui, selon moi, sauvent le roman et justifient sa lecture.
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9 - Un vrai talent d'écriture
Muriel Barbery possède indiscutablement une sacrée plume, elle en use et abuse parfois (cf. points 3 et 7) mais on ne peut nier que cette femme aime les mots. Elle les manie avec brio (dès lors on peut comprendre que la tentation de l'excès soit parfois forte), elle est parfois drôle et elle a le sens de la formule choc.
En voici une à propos d'une femme de ménage (P.28)
"mère de quatre enfants français par le droit du sol mais portugais par le regard social"
ou encore, ce bel exemple de zeugma (P.16)
"j'exhibe complaisamment ces victuailles de pauvres (...) afin d'alimenter conjointement le cliché consensuel et mon chat".
Des phrases comme ça, on en trouve beaucoup dans le livre mais j'apprécie plus encore les images décalées, les associations d'idées saugrenues, ou de mots improbables que semble affectionner l'auteure. Rien que pour ces petites trouvailles de style et/ou de vocabulaire entre deux digressions pseudo philosophiques, le livre est intéressant.

10 - Deux passages impressionnants
Pour finir, il y a selon moi dans ce roman deux moments de bravoure absolument merveilleux mais trop brefs, des miracles de prose, des bijoux littéraires :
- le chapître "soeurs" page 310,
- tout à la fin, le chapître "mes camélias".
Cela représente 12 pages au total et, rien que pour ces 12 pages, je ne regrette pas d'avoir lu ce livre. Muriel Barbery montre qu'elle est nettement plus efficace, plus vraie et plus fine dans l'émotion que dans le récit pur ou la digression prise de tête. Quel dommage qu'elle n'ait pas exploité cette veine (et celle-là seulement !) tout au long de son roman !
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CONCLUSION

Ca fera sans doute un gentil film français à voir dans 2 ou 3 ans au cinéma mais, d'ici là, ce livre continuera à cartonner. On a déjà fait des best-sellers avec nettement pire, donc oui, pourquoi pas... mais ce n'est ni fabuleux, ni passionnant, ni profond, ni crédible et on frôle tantôt le cucul éhonté, tantôt le jargonnage pontifiant. Il y a des pages entières où je n'ai rien compris, je ne prétends pas être Einstein mais je ne pense pas non plus avoir le cerveau d'un bulot cuit.
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Il n'en reste pas moins que l'auteure possède un style que j'ai hâte de découvrir consacré à un sujet plus intéressant et plus fouillé ou un roman plus franchement futile si elle préfère mais, par souci de cohérence, qu'elle tranche et se lâche !
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Depuis que j'ai refermé le livre, que m'en reste-t-il ? Pas grand chose à vrai dire et plus le temps passe, plus mes souvenirs sont négatifs. J'ai même été étonnée de trouver des compliments en relisant ce que j'avais écrit quelques jours après ma lecture. Je les maintiens mais j'ajoute qu'ils ne compensent hélas pas les défauts relevés dont certains me semblent rédhibitoires.
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Bref, faites-vous votre propre opinion mais méfiez-vous de la génialitude ambiante... ;o)
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@ +
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Cécile
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P.S. : Un autre son de cloche comparable au mien :

5 commentaires:

Jerry OX a dit…

je m'y frotte et m'y pique avec plaisir !! il n'y a point de mal à se faire du bien et puis j'ai une tendresse particulière pour les hedgehog !

Monsieur l'adulte a dit…

Je le cherche aussi mais il semble hors stock en librairie (dans mon coin du moins) et en réservation pour les 10 prochains mois à la bibli...

Vivement un voyage à Montréal prochainement.

Ceci dit, il est trop joli le hérisson que tu exhibe!

Cécile Qd9 a dit…

@ Jean-Philippe : moi aussi j'aime beaucoup les hérissons et j'ai eu la chance d'en avoir comme compagnon de jeu pendant une journée. Adorable...

@ monsieur l'adulte : pas d'urgence à le lire selon moi (cf ma critique intégrale) et oui, je suis d'accord ce hérisson est mimi tout plein (c'est même pour ça que je l'ai choisi ;o) )

deparlà a dit…

J'apprends qu'André Rieu sait lire!
comme quoi ...
(ça va, c'est pour rire)

puis surtout que Barbery aurait des influences comme Begbeder, Coelho, là tu pousses un peu, pour moi ça n'a rien à voir.

enfin, je note que tes notes de 1 à je sais plus combien devraient faire d'un roman le copié collé de la réalité, je ne suis pas d'accord (Coelho non plus sinon pas de bouquins), alors tes arguments se tiennent quand il s'agit de se référer à des préjugés qui ont la vie dure, ils existent inutile de se voiler la face, et que Muriel Barbery s'en serve, comme d'autres (genre Simenon même si sa littérature n'a rien à voir), je ne suis pas contre dans le sens que son livre les fait exploser en plein vol.
Quand à Paloma, j'admire l'auteur de ne pas être tombée dans le panneau chichiteuse et compagnie et d'en avoir fait un personnage au recul implacable et lucide, pourquoi pas.
Bref, elle nous a bien baladé la Barbery, ça m'a été très agréable, dommage que tu n'aies pas apprécié.

Schlabaya a dit…

J'ai linké cet article au bas du mien, cela fait en effet un avis qui tranche avec la majorité.
Je suis étonnée au sujet des préjugés que vous attribuez à Muriel Barbery. Si son héroïne Renée se conforme en apparence à l'idée qu'on se fait d'une concierge, c'est un peu par dépit, un peu du fait d'un humour très particulier, parce qu'elle se plaît à mystifier ses voisins, et un peu aussi du fait qu'elle n'ose pas vraiment être elle-même, puisqu'elle souffre d'un complexe dû à ses origines. Bref, Barbery ne cautionne absolument pas ce préjugé, au contraire, elle le souligne avec ironie. Pour l'élégance du hérisson, je pense qu'elle fait allusion à l'élégance morale, de même qu'on parle de beauté intérieure; du moins, je l'ai pris comme ça. Renée se donne une apparence revêche, elle sort ses piquants pour ne pas être percée à jour, mais à l'intérieur d'elle, il y a de l'or.
Il y a beaucoup de choses sur lesquelles je suis en désaccord, mais c'est normal bien sûr que tout le monde ne perçoive pas un roman de la même façon. Sur Paloma, même si effectivement c'est un personnage assez improbable, on retrouve quand même les traits de l'enfant doté d'un haut potentiel : très intellectuelle, et très distanciée par rapport à son entourage.