Bonjour Serge
Bonjour les zotres
J'ai déjà lu et aimé (beaucoup, beaucoup, beaucoup) 3 livres de Serge Joncour :
- Situations délicates, qui comme son titre l'indique, recense avec finesse et humour tous ces petits tracas du quotidien qui nous mettent mal à l'aise, tous ces moments de gêne que l'on tente de masquer avec plus ou moins de talent tel que le fait de ne pas reconnaître dans la rue une personne qui, elle, semble parfaitement nous situer (à ce propos lire cette anecdote vécue),
- U.V., l'excellentissime polar adapté au cinéma avec le beau Pascal Elbé (soupirs façon Obélix devant Falbala)
- Combien de fois je t'aime, un recueil de nouvelles tendres et émouvantes.
Ces livres sont on ne peut plus différents les uns des zotres mais possèdent tous deux point communs :
- une qualité de plume assez admirable,
- une finesse d'analyse qui ne l'est pas moins.
L'homme qui ne savait pas dire non n'échappe pas aux deux caractéristiques précitées et une fois de plus, il ne ressemble à aucun des zotres Joncour que je connais.
Le sujet
Grégoire Beaujour est employé dans un institut de sondages. C'est même un employé modèle tant ses questionnaires habilement tournés engendrent des taux de réponses positives quasi miraculeux. Il faut dire que Beaujour à un secret, un secret qu'il considère de plus en plus comme un sérieux handicap : il ne sait pas dire non. Il a purement et simplement perdu ce mot.
Le contexte
Lorsque j'ai reçu via Facebook une invitation à une séance de dédicaces du nouveau roman de Serge Joncour, je n'ai pas hésité une seule seconde, j'ai cliqué sur "oui" sans même connaître le thème du livre, certaine de l'aimer de toute façon et ravie de rencontrer enfin cet auteur à l'écriture si belle et sensible.
Je le dis avec tout le sens de la nuance qui me caractérise : le côté très formel de la réunion m'a gonflée. Je ne remets pas en cause l'investissement de la libraire et j'admire sincèrement son implication et son enthousiasme mais je bouillais intérieurement et ce pour au moins 3 raisons :
1 - Je ne m'y attendais pas (mais bon, je suis un être éminemment adaptable finalement et ce n'est pas vraiment ça le souci).
2 - L'exercice était très "excluant" (surtout quand on n'avait pas lu le livre) et un peu longuet. A un moment je me suis demandée ce que je foutais là et, si j'étais venue seule, je serais partie tant j'avais l'impression de faire bêtement tapisserie, d'assister en tant que témoin (certes privilégiée, assise avec un verre à la main, il y a pire, j'avoue) à une démonstration plutôt qu'à un échange, à une conversation privée entre la libraire visiblement admirative et exclusivement tournée vers l'auteur et ce dernier qui répondait à ses (nombreuses et interminables !) questions de manière certes fine et passionnante même si toutes ne l'étaient pas. Exemple : "finalement, l'écriture n'est-elle pas une forme d'auto-analyse ?". Ah ben ça, quel scoop ! Je pense que le moindre ado tourmenté griffonnant un poème aux rimes plates approximatives en a conscience !
J'avais déjà vécu ce type de débat à l'occasion des fort intéressantes "mille feuilles" organisées par Frédéric Fredj (je le raconte ici) mais les règles du jeu étaient nettement posées dès le départ, les intervenants multiples et tournés vers le public et les interactions avec ce dernier plus nombreuses (même si je les avais déjà trouvées insuffisantes),
3 - Le dialogue portait parfois sur le fond même du texte et non uniquement sur sa forme ou son analyse. J'ai fini par exprimer (courtoisement mais fermement) mon agacement à haute voix (parce qu'en plus d'être une femme nuancée, je suis pleine de tact). Je suis comme ça moi : j'adore qu'on me parle d'un livre mais je déteste qu'on me le raconte (ben oui, à quoi ça sert que je le lise après ?). Pour ça aussi j'ai vraiment eu la tentation de quitter les lieux.
J'ai nettement préféré la suite de la soirée, plus informelle et agrémentée de tomates cerise, d'un délicieux saucisson et de succulents dés de comté. Certain(e)s en concluront peut-être que je suis un estomac sur pattes. Je ne dis pas "non" mais pas que...
En sortant de la librairie, j'ai demandé ses impressions Miss Peule Blanche qui m'accompagnait et elles coïncidaient avec les miennes : finalement je ne suis pas si grognonne et gratuitement râleuse que ça (ou alors nous sommes 2 !).
Le petit point faible du livre
Je vais commencer par un petit bémol très personnel : même si je lis parfois des pièces de théâtre et que j'apprécie beaucoup cela, je ne suis pas très fan de l'usage intempestif de dialogues dans un roman. Souvent, je trouve qu'ils sont inutiles et/ou sonnent faux et dans le pire des cas, sont signes de paresse (car ils font l'économie d'une description, d'une analyse) voire frisent la niaiserie.
A mon avis et même si la libraire les a au contraire trouvés brillants, L'homme qui ne savait pas dire non échappe d'autant moins au travers de l'artifice que toute personne ayant joué au moins une fois dans sa vie au fameux jeu diffi-Cécile du "ni oui ni non" sait très bien qu'un refus peut s'exprimer de multiples façons comme "pas du tout" ou "je ne suis pas d'accord" ou "il n'en est pas question" ou "j'aimerais mieux pas" (version Bartleby) ou encore, pour les plus radicaux/ales : "va te faire foutre" et ses diverses variantes anales.
Certes, la privation de négation de Beaujour est à prendre dans un sens plus large que la simple impossibilité de prononcer le mot non ; cet homme ne sait tout simplement pas refuser quoique ce soit à qui que ce soit (ça fait rêver, non ?) mais, si cette idée passe parfaitement bien dans l'ensemble du roman et permet des mises en situations intéressantes, des analyses tantôt cocasses, tantôt acides, mais toujours passionnantes, elle perd de sa force dans les passages rédigés sous forme de dialogues qui frisent parfois l'absurde, volontairement, j'en ai bien conscience mais mes goûts sont tels que l'absurde littéraire me tombe généralement des mains.
Les gros points forts du roman
Cette petite faiblesse subjective mise à part, j'ai adoré l'homme qui ne savait pas dire non pour les mêmes raisons qui font que je suis fan d'U.V. et de combien de fois je t'aime, (la preuve via le répertoire des auteur(e)s) livres que j'ai déjà moultement offerts (notamment comme récompense de mes jeux idiots mensuels) et qui, à chaque fois, ont suscité des réactions enthousiastes de la part des lecteurs/trices les ayant reçus au point que la plupart ont ajouté : "je vais lire d'autres Joncour". Le recueil de nouvelles à même réussi haut la main le test hautement redoutable d'une lecture maternelle tant les livres que j'ai offerts à ma mère et qui ont trouvé grâce à ses yeux se comptent sur les doigts de deux mains ! Je crois qu'il n'y a pas plus exigeant(e) que quelqu'un(e) qui lit très peu !
Très logiquement, les moments que j'ai préférés sont les pages en italique, ces proses limpides, calmes et profondes comme des lacs, si justement intitulées "broderies" tant elles recèlent de finesse, de beauté, de justesse. Je crois que je les relirai seules pour en apprécier à nouveau la qualité évidente. Ces pages sont presque émouvantes tant elles sont justes et magnifiquement écrites. A chaque ligne, on a l'impression que Joncour a trouvé le mot idéal, donnant à la phrase une incroyable vérité sur le fond et un parfait équilibre sur la forme.
En fait, j'ai été conquise avant même les premières lignes du roman car Joncour a choisi de mettre en exergue une citation de René Char : Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d'eux. Je ne peux qu'être sensible à l'évidence et à la poésie d'une telle affirmation émanant d'un homme que j'admire tant (ça aussi je l'ai déjà dit, écrit et répété).
Plus je découvre les romans de Serge Joncour, moins je comprends pourquoi leur sortie n'est pas plus médiatisée : voilà un auteur qui écrit des choses intelligentes, intéressantes et qui les écrit bien ! Que demander de mieux ?
Non ? Oui ? Si ou pas ?
En écoutant Joncour parler de son livre l'autre soir, je me disais "voilà bien un livre que seul un homme pouvait écrire" ce dont l'auteur s'est convaincu lui-même, a posteriori, en écoutant les réactions exprimées lors des séances de dédicaces et sur les salons littéraires et auxquels il participait : "on devrait l'offrir à Roger" ou "c'est tout Fernand, ça !".
L'incapacité de dire non me semble effectivement une problématique essentiellement masculine, tant l'éducation des filles repose (notamment) sur l'apprentissage du non, du refus, et sur le fait que dire oui c'est prendre des risques, c'est déplacé, c'est être une mauvaise fille. S'affirmer n'est pas ce qu'on attend en priorité d'une femme. Formulé autrement, encore de nos jours, dire oui sans sentiment de culpabilité est quasiment un privilège masculin qui, parfois, s'avère un signe de lâcheté, de faiblesse comme chez Grégoire Beaujour. Certes.
Cela dit, contrairement à l'auteur, je ne suis pas du tout convaincue que le non engage plus que le oui. Revenir sur un oui, c'est reprendre une parole donnée. Revenir sur un non, c'est simplement négocier, accepter de se remettre en cause.
Mais, à mon avis toujours, ce qui est encore plus dur que refuser, c'est contredire ; la difficulté ultime ce n'est pas dire "non" c'est dire "si" et ce mot, justement, je ne l'ai pas lu une seule fois dans le livre. Je ne sais pas si l'auteur en a conscience. Son usage aurait pourtant allégé les dialogues précédemment évoqués.
Conclusion
Je dis un grand "oui" à l'homme qui ne savait pas dire non et je recommande une fois de plus à tout le monde de lire et relire Joncour.
Ce livre est une des (excellentes) raisons qui me poussent en Sarthe ce week-end car Serge Joncour participera à la 25e heure, le salon du livre annuel du Mans (les 10 et 11 octobre, site internet hyper mal foutu ici), où il participera notamment à un débat sur le thème "Vies insolites" (dimanche 16h00).
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11 commentaires:
Je n'avais jamais entendu parler de "Situations délicates".
Avant même de le lire et vu le sujet dont il est question, je dirais que ce livre doit être fait pour moi (pour d'autres aussi d'ailleurs)!
Tout à fait d'accord avec tes impressions sur les rencontres/dédicaces. Se retrouver dans une discussion à propos d'un livre pas encore lu exclut d'emblée du débat et suscite un sentiment de frustration.
Je me suis d'ailleurs retrouvée dans une file à la Foire du Livre.
Deux femmes discutaient si fort derrière moi que j'ai entendu toute la fin du bouquin que j'étais venue faire signer.
Autant dire que je leur ai fait part de mon indignation face à ce manque total de discrétion...
Je me suis moi-même fait la réflexion quant au contenu de mes billets de lecture et j'en suis venue à la conclusion que j'en disais beaucoup trop et compte bien rectifier le tir pour les billets suivants.
L'engouement ou au contraire la déception peuvent encourager à une certaine précipitation qu'il faut pouvoir contenir pour préserver le lecteur potentiel.
De l'utilité des dialogues dans un roman, vaste débat.
Réussis lorsqu'ils font suffisamment bien passer un message, un sentiment que pour ne pas devoir être complétés par une description.
Superflus en cas d'effet doublon.
Exercice très difficile qu'est le dialogue je trouve.
D'autres façons de dire non? Le silence. La diversion. La fuite.
Un verre d'"eau qui purifie" sur la tronche^^
http://video.google.com/videoplay?docid=8886163334245983415#
Pour avoir été la "témoin" de la soirée et la lectrice également de ce roman gentiment dédicacé, je dis un grand oui, à Cécile, au roman de Serge Joncour et au saucisson:) Et Joyeux anniversaire!
ça c'est un billet sans concession qui donne envie de lire le livre! Je ne passerai plus jamais devant un livre de cet auteur sans penser à toi et à ce commentaire!
Oh joyeux anniversaire madame Balance ;)
@ Cynthia : tout d'abord merci. :o)
Ensuite, j'avoue que situations délicates estg le premier Joncour que j'ai lu et ensuite, quand j'ai lu U.V. je n'ai pas fait le rapprochement et je pensais sincèrement que c'était le premier Joncour que je lisais alors que non... Bon, ch'sais pas très claire là mais ce n'est pas très important de toute façon.
Enfin, ce n'est pas tant le fait de ne pas avoir lu le livre qui me faisait sentir exclue de ce qui se passait : c'est juste qu'emportée par sa passion, la libraire ne se préoccupait pas plus de son public qu'un pigmée de l'heure de fermeture du Monoprix Vaugirard... elle nous tournait à moitié le dos en s'adressant à l'auteur et du coup on était relégué en position de voyeur/se, de potiche passif/ve... du coup, sa passion n'était pas communicative mais créait au contraire une distance et je me sentais limite pas à ma place, gênée d'être là, comme un cheveux sur la soupe...
Conclusion : j'aime bien tes façons de dire non... ;o)
@ Nathalie : merci !
@ Mango : Diantre ! Tout ça ?
J'espère qu'au moins tu en as acheté tout un stock pour offrir aux copines qui ont bientôt le même âge canonique que toi... (je parle du livre, pas du sauciflard !)
@ Liliba : quand il sortira en poche...
Je suis très émue de lire cet article. Je ne suis donc pas la seule à être subjuguée par l'écriture de Serge Joncour. J'ai lu son premier roman "Vu", sorti en 1998. Et j'ai "flashé". Et depuis tout ce que je lis de lui me ravit, et, tout comme vous, je ne comprends pas qu'il ne soit pas plus médiatisé...
Bernie
Et hop, dans ma LAL! Dommage que je n'ai pas compris ton "jeu stupide d'octobre" sinon, à condition d'être inspirée bien sûr, j'aurais participé
Je suis dans la lecture de ce roman et je ne trouve pas ça très cohérent, pour la même raison que toi. Au début, on nous explique que Beaujour ne peut plus dire non pour une raison physique : le mot ne veut plus sortir de sa bouche..or comme tu le dis, il y a d'autres façon de dire non.
Donc admettons que ce soit dû à un excès de politesse..mais là, ça ne colle pas du tout non plus, car dire oui n'est pas tout le temps signe de politesse. Ex
- dîtes tout de suite que je suis stupide
- oui.
Donc bon, propos pas très cohérent.
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