vendredi 9 juillet 2010

Papoua de Jean-Claude Derey (pas pouahhh du tout)

Bonjour Cynthia
Bonjour aux papous
Bonjour aux zotres

Attention, sujet épineux, angle diffi-Cécile, coup de sarbacane ou envoi de petit serpent noir et jaune possible ! Voici que je vais parler de ZE livre écrit par ZE auteur par qui ZE scancale littéro-blogosphérique 2010 est arrivé ! Même qu'à côté de ça le fait que les bleus ne s'entraînent pas pendant la coupe du monde de foot, c'est du pipi d'chat ! Que dis-je, de l'urine de chaton de race non sevré !

Rappel télégraphique des faits

Cynthia reçoit ce roman de la part de la maison d'édition. Elle le lit, n'apprécie pas sa lecture et le dit. L'auteur le constate, s'en offusque et se fend de 3 mails courroucés et assez peu intelligents qui génèrent comme il se doit une réaction immédiate et solidaire de la blogosphère et tout à coup, un livre dont personne n'avait entendu parler jusque-là reçoit un sérieux coup de projecteur. Hé hé... pas si con en fait.

Le sujet

Monseigneur pourrait vivre une retraite bien méritée dans son coin de Papouasie aux côtés du jeune François qu'il a élevé comme son propre fils et dont il espère faire le premier prêtre Papou. Mais voilà, Monseigneur se sent investi d'une mission : s'enfoncer en pleine forêt pour aller prêcher la bonne parole aux Fouyoughé, un peuple isolé surtout connu pour considérer tout nouvel arrivant comme un gigot sur pattes. Contre toute attente épargnés pour le chef du village, les nouveaux venus vont se heurter à la dangereuse opposition de Gouloupouï le chamane.

Mon avis

Indépendamment de l'énervement un peu lamentable de l'auteur, j'ai immédiatement eu envie de lire son livre à travers les propos de Cynthia comme quoi, pour peu qu'elle soit argumentée (et c'était le cas), même négative, une critique peut susciter la curiosité voire le désir. Jean-Claude Derey aurait dû songer à cette évidence avant de s'emporter.

Je remercie donc Cynthia d'avoir partagé son avis de lectrice et aussi d'avoir eu la gentillesse de m'envoyer ce livre qui est peut-être celui que j'ai préféré parmi tous les romans français que j'ai lus au cours du premier semestre 2010 (en même temps il n'y en a pas eu 150.000 non plus !).

Je commencerai par le seul (gros) bémol que j'ai ressenti lors de ma lecture. Si j'avais été l'éditrice de Papoua j'aurais demandé à l'auteur de supprimer purement et simplement toutes les pages mettant en scène "le malin" qui me semblent pour le moins inutiles dans le corps du récit, capilotractées et ridicules sur le fond et nettement plus faibles que le reste du texte sur la forme. Même si elles donnent lieu à des scènes d'hystérie un brin pathétiques, elles ne représentent que quelques pages auxquelles on aurait bien tort de réduire ce roman par ailleurs truffé de qualités. J'ai adoré tout le reste.

J'ai aimé le côté ethnologique du roman et la confrontation de deux mondes, de deux logiques voire de deux folies tant je suis convaincue depuis longtemps que l'idée même de transcendance est de nature à semer la discorde entre les hommes de bonne volonté... Alors imaginez l'effet sur des types obtus, enferrés dans leurs certitudes séculaires et risquant de perdre la vie, la face, le pouvoir ou tout ça à la fois si ce en quoi ils croient n'est plus cru par les zotres !

J'ai aimé le rythme du roman, le langage truculent et les inventions stylistiques de l'auteur. Je suis habituellement réfractaire au verbe trop coloré, trop imagé, trop foisonnant visant trop explicitement une forme d'humour flirtant avec l'absurde et fondé sur un certain décalage entre un personnage principal plutôt passif et un environnement ou des situations dont il ne possède pas la maîtrise (la définition du Candide). Je pense à des auteurs comme Foenkinos ou Page ou encore Kourkov dont je ne suis pas parvenue à achever Le Pingouin et aussi, en ce moment même à Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer, sélectionné par Anne-Sophie pour le prix Qd9 2010 et que je prévois d'abandonner sous peu (mais, même en soupirant et en souffrant, j'irai jusqu'à la page 100 par pure conscience jurystique !).

En même temps, au fur et à mesure que je rédigeais le paragraphe qui précède, le nom de Jaenada s'est imposé à mon esprit et force est de reconnaître que sur le fond comme sur la forme, tous ses livres sont fondés sur les principes que je suis supposée détester. Alors à quoi cela tient-il que j'adore ses livres ? Comment expliquer que j'ai aussi aimé celui de Derey ? Question de sensibilité et d'intelligence du propos, de densité sur le fond et de légéreté sur la forme, de finesse d'écriture, de cohérence du récit dont le rythme et l'intérêt ne faiblissent pas de la première à la dernière page là où tant de romans reposant sur une (fausse ?) bonne idée de départ et un vague personnage s'essouflent faute de matière.

La matière, Derey n'en manque pas et Papoua sent l'humus et la chair (et pas seulement la chair grillée), il est pétri de la terre qu'il évoque mais aussi d'une sensualité crue, directe, évoquée comme une évidence gourmande et sans pudibonderie. J'ai souvent pensé que peu d'auteur(e)s savent évoquer l'acte sexuel sans mièvrerie (pire exemple : Lodge) et Derey fait partie de ses happy few (je pense à Calaferte et, sinon, surtout à des femmes) dont les mots mordent naturellement dans le plaisir.

Quelques extraits

Le début du livre trouvé sur le site de l'éditeur
Depuis trois mois, nous sommes inquiets. Aucune nouvelle de père Paul, là-haut, dans la chaïne des Étoiles. Aucun message, pas la moindre fusée de détresse. Et puis ce soir, un Papou en étui pénien, nu du sol au plafond, a déboulé dans la cour de la mission, avec père Paul, proprement emballé dans des feuilles de bananiers, bien récuré, vertèbres, omoplates, tibias, dans le désordre, presque complet, sauf le crâne qui là-haut, sert d'oreiller...Monseigneur contemplait son malheureux neveu, enfin les omoplates, comme s'il peinait à le reconnaître, et qu'il avait encouragé à venir le rejoindre en Papouasie, l'île la plus inhospitalière du monde.

Un passage cité par Cynthia qui ne l'aime pas (moi si)
Elle mordillait ma verge en agaceries d'incisives, lui causant d'une voix rauque, basse, comme à un suspect dans une cave, sur une chaise en fer, qui refuse de donner le nom de ses complices. Elle l'agitait entre ses paumes, avant de la coincer entre ses pieds, et sa langue papillonnante me suppliait, retiens-toi encore, c'est meilleur ! Bander et éjaculer riment avec l'éternité ! Imagine, t'es aveugle, sans chien, sans canne blanche, trop bête pour apprendre le braille, tu erres dans une nuit noire ! Et soudain, tu découvres sous la moustiquaire ta Juliette, ton nouveau monde, ton Amérique à toi, à renvoyer au piquet celle de Christophe Colomb !


Quelques liens

La critique très mesurée de Cynthia qui, comme tout le monde a le droit de ne pas aimer un livre, de le dire et de l'écrire : pas de quoi fouetter une chatte ni courroucer un romancier !
Ze début of ZE scandale
Mes zotoportraits au fer à repasser assorties de commentaires forcément subtils
Les photos des zotres repasseurs/euses (merci pour les éclats de rire que je vous dois)
Le jeu idiot d'avril qui a résulté de tout ça et qui attend encore vos commentaires et votes pour désigner le portrait gagnant
Papoua sur le site des éditions Alphée

Edit : s'il vous fallait un argument choc supplémentaire pour vous convaincre de lire absolument ce livre, sachez qu'on y parle énormément de cochons (et dans l'cochon tout est bon !). Vous apprendrez d'ailleurs à leur sujet certaines pratiques locales parfaitement déroutantes pour ne pas dire totalement choquante pour un(e) occidental(e) de base.

Conclusion

Ce livre démontre qu'on peut manquer de sens froid et de recul dans la vie et parvenir à écrire un livre drôle, truculent, léger (dans le bon sens du terme), réjouissant voire jouissif. Peut-être mon roman français préféré parmi ceux que j'ai lus au cours du premier semestre.

S'il est capable d'un brin d'humour en dehors de ses romans, Jean-Claude Derey peut aller voter pour une des photos qu'il a (in ?)-volontairement inspirées.

11 commentaires:

orchidee a dit…

magnifique billet ... né d'une polémique !!!

Ys a dit…

J'ai aussi abandonné le pingouin russe même pas drôle et le Foer éreintant (mais pour ce dernier, j'y retournerai certainement). Nous n'avons pas été nombreux à avoir envie de lire ce livre suite au billet de Cynthia, tu as donc eu raison de persévérer malgré le ramdam. Ravie qu'il t'ait plu, mais déçue parce que j'imaginais aussi le billet que tu aurais pu écrire si ça n'avait pas été le cas. Je ne commente pas beaucoup ici, mais je suis une fidèle lectrice car tu me donnes le sourire tous les jours et pas qu'à moi ("l'appel du 18 après le râteau du 17" a eu un grand succès autour de moi !).

Cécile Qd9 a dit…

@ Orchidée : merci. Je rougis.

@ Ys : ce que tu me dis là me fait très plaisir ! L'an dernier j'avais évoqué "la pelle du 18 juin"... Je stresse déjà pour l'an prochain !
Je crois que tu as trouvé le bon qualificatif pour le livre de Foer. Moi je dirais "saoulant", au sens "saoulant de mots". La dernière fois que j'avais ressenti ça c'était avec Belle du Seigneur de Cohen que je n'ai d'ailleurs pas achevé.

Cynthia a dit…

"Bander et éjaculer riment avec l'éternité !"

My god...même après 3 mois d'abstinence dereysque, ça ne passe toujours pas.

" Peut-être mon roman français préféré parmi ceux que j'ai lus au cours du premier semestre."

Pas à ce point-là quand même? Tu me provoques c'est ça? ;)
Quoiqu'il en soit, je suis contente que ce livre ait voyagé jusqu'à chez toi et t'ait plu car chez moi il n'aurait pas fait long feu (ou plutôt si...) !

Cécile Qd9 a dit…

@ Cynthia : en fait j'ai adoré l'échappée de Goby aussi. Je ne sais pas si ça t'arrive mais moi, de temps à autres, en lisant une critique, je suis absolument certaine que j'aimerai le livre en question. Ca m'avait fait ça pour Fume et tue par exemple et j'avais eu le même présentiment concernant Papoua.
Il est démontré depuis Duras que nous n'avons pas toujours les mêmes goûts littéraires... ;o)

Cynthia a dit…

J'aurais misé sur une malédiction des auteurs en D mais non, il nous reste le Despentes ;)

liliba a dit…

Je veux le lire !!!

Ton billet donne vraiment envie de tester la chose et de comparer par rapport à l'avis de Cynthia...

Cécile Qd9 a dit…

@ Cynthia : Despentes oui mais pas le livre dont je vais parler bientôt

@ Liliba : je pense en effet qu'il pourrait te plaire

Cécile Qd9 a dit…

@ Cynthia : Despentes oui mais pas le livre dont je vais parler bientôt

@ Liliba : je pense en effet qu'il pourrait te plaire

Cynthia a dit…

Deghelt et "La grand-mère de Jade"?

PS : en parlant de Despentes, elle sort un nouveau roman à la rentrée, "Apocalypse bébé", un genre de polar-road book.
Je me tâte...

Anonyme a dit…

Je suis malagasy, et j'ai découvert Jean-Claude Derey avec "Papoua" (livre dédicacé par l'auteur) sur les rayons nouveautés d'une bibliothèque à Antananarivo.

J'ai aimé le livre, et je viens de finir "Le quart d'heure colonial", encore plus poignant, beaucoup d'humour sur fond de vérité vraie...

Aucunement xénophobe, je me permets de citer un passage que je ne suis pas prêt d'oublier "Quand les premiers Blancs avaient débarqué en Afrique, ils avaient le livre et nous la terre. Aujourd’hui, ils ont la terre et nous le livre !"

Certes, la réaction de l'auteur (par rapport à Cynthia) est incompréhensible, mais comme il dit lui même "L’homme est un brouillon qui reste à inventer"(Le quart d'heure colonial)...

Adrien