Bonjour aux femmes libres
Bonjour à celles qui ne le sont pas
Bonjour aux zotres
Cet excellent livre fait partie de la sélection du prix Qd9 2010 dans la catégorie romans étrangers.
Présentation de l'éditeur
La servante écarlate, c'est Defred, une entreprise de salubrité publique à elle seule. En ces temps de dénatalité galopante, elle doit mettre au service de la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, son attribut le plus précieux : sa matrice. Vêtue d'écarlate, à l'exception des voiles blancs de sa cornette, elle accomplit sa tâche comme une somnambule. Doit-elle céder à la révolte, tenter de tromper le système ? Le soir, Defred regagne sa chambre à l'austérité monacale. Elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, d'échanger des confidences, de dépenser de l'argent, d'avoir un travail, un nom, des amants... C'était le temps où l'amour était au centre de tout. L'amour, cette chose si douce aujourd'hui punie de mort... Œuvre majeure, La Servante écarlate n'est pas sans rappeler 1984 d'Orwell. Mais, au-delà de cette magistrale création d'un monde, c'est la question du rôle et de l'avenir des femmes que pose, avec force, ce roman inoubliable.
Mon avis
Combien de temps a-t-il fallu au régime intégriste afghan pour imposer la burqa aux femmes et les priver de toute liberté, de soins médicaux, de ressources ? Au début des années 90, l'américaine Susan Faludi inventait le concept de Backlash et donnait ce titre à un essai sous titré "the undeclared war against american women". L'idée est simple : à chaque période d'avancée féministe succéderait une période de retour de bâton machiste et ces effets de balanciers seraient fortement corrélés à des facteurs extérieurs notamment économiques. On parle aussi d'effet balancier et on utilise souvent pour qualifier cette théorie, l'expression "Deux pas en avant, un pas en arrière".
Les élucubrations obsessionnelles d'un Zemmour montrent à quel point les avancées en matière de condition des droits des femmes sont surévaluées et comment certains "confondent" (sciemment ou de bonne foi) une société où la conditon des femmes progresse et une société dominée par les femmes : je rappelle qu'à une ou deux curiosités ethnologiques près, le matriarcat n'existe nulle part dans le monde. Si notre société se montre particulièrement vigilante en matière de propos racistes et homophobes, on peut encore se permettre de dire à peu près tout et n'importe quoi sur les femmes y compris les blagues les plus douteuses et les contre vérités les plus éhontées.
De fait, en tant que femme, je sais pour le vivre depuis 43 ans que l'égalité des sexes est loin d'être acquise dans les faits (même s'il y a pire ailleurs ou plutôt, justement, parce qu'il y a pire ailleurs) et je suis convaincue qu'il suffit de peu de choses pour qu'ici ou là certains droits des femmes soient remis en cause en moins de temps qu'il n'en a fallu à Phileas Fogg pour faire le tour du monde.
Ce n'est pas le sujet central du livre puisqu'il débute alors que la société est déjà devenue totalitaire et la condition des femmes terriblement oppressante mais c'est un des thèmes développé en filigrane par Margaret Atwood qui, au fil des pages et par flash-backs successifs, démonte très bien les mécanismes mis en oeuvre pour un asservissement progressif de la population dans son ensemble avec, au départ, l'assentiment de la plupart, puis l'instauration de la crainte, puis de la peur, puis de la répression et des interdits.
C'est à la fois effrayant et passionnant parce qu'on sait très bien en lisant les lignes d'Atwood que c'est déjà arrivé en privant l'ensemble de la population de libertés mais en ciblant plus précisément un bouc émissaire : Allemagne nazie, Afghanistan des talibans, Cambodge des Kmer rouges ou Chine communiste de la révolution culturelle pour ne citer que ces exemples extrêmes.
Dans La servante écarlate il n'est pas question de génocide mais au contraire de perpétuation de la population. Dans un contexte de guerre et de dénatalité préoccupante due aux effets de la stérilité de la plupart des américains liée à une polution catastrophique, certaines femmes sont envoyées comme "missionnaires" au service de couples de nantis et préposées à la procréation.
Ce postulat de départ permet à Atwood de décliner sur tous les tons les variations des petits et grands effets de la tyrannie organisée : de la perte d'identité au conditionnement en passant par la méfiance, l'absence d'accès à toute forme de culture et aux moyens d'expression, les minuscules espaces de liberté, l'espoir, le désespoir, la passivité et la révolte, les paradoxes du système aussi où le tabou de la sexualité n'exclut pas les entorses de toutes natures. C'est un travail analytique remarquable et une démonstration aussi effrayante qu'implacable servie par un style fluide et une trame romanesque habile pour ne pas dire haletante. Bref, c'est brillant et on ne peut s'empêcher de songer au contexte actuel de projet de loi contre le port de la burqa en France (inutile de vous préciser que je suis farouchement POUR cette loi).
Même s'il s'agit à l'évidence d'un livre féministe, on aurait toutefois tort de réduire le sujet de La servante écarlate à la stricte condition féminine et il convient plutôt, d'après moi, d'y voir une parfaite description des mécanismes universels de l'oppression et des processus de résistance aussi ténus et désespérés soient-ils.
J'ai également trouvé le livre d'une sensualité ineffable. Sous le carcan du voile, le corps de Defred n'aspire qu'à vibrer. L'humiliation psychologique et la frustration sexuelle suinte des pores de chaque protagoniste et il en découle une tension permanente, une aspiration au contact physique qui ajoutent un intérêt supplémentaire à ce roman.
Deux très léger bémols :
1/ Il aurait été intéressant que le côté "relations internationales" soit développé un peu plus même si l'isolement et la désinformation absolue de Defred justifie cette quasi impasse.
2/ Je n'ai pas été emballée par les pages d'épilogue du livre : elles me semblent superflues voire bâtardes tant la tentative de rationalisation qu'elles recèlent est en demi-teinte et tant leur propos résolument analytique ne va pas jusqu'au bout de la démonstration qu'on aurait pu en attendre. Mais c'est sans réelle importance, l'essentiel est avant et surtout ailleurs.
Biographie de l'auteur
Immense romancière mais aussi poète et essayiste, Margaret Atwood, née en 1939 à Ottawa (Canada), a compris la stature du " grand écrivain ". Qui a eu la chance et le privilège de la rencontrer n'a plus le moindre doute là-dessus, car si pour une part son œuvre roborative est là pour en témoigner, sa riche personnalité finit d'en attester. Aussi bien Margaret Atwood est-elle à plus d'un égard - prosaïquement dit - un personnage qui fascine. Si ses romans les plus récents - Captive, Le Tueur aveugle et Le Dernier homme - ont considérablement élargi le cercle de ses lecteurs de langue française, La Servante écarlate, cette "utopie négative", reste l'un de ses hauts faits d'armes dans le combat qu'elle a mené et continue de mener pour la femme. Son souci pour l'écologie, sa vision du monde, alliés à son écriture d'une virtuosité inouïe, ont placé les livres de Margaret Atwood parmi les joyaux de la collection "Pavillons".
Quelques liens
Lien passionnant évoquant notamment le backlash et Ma critique à propos du roman inversé (beaucoup moins réussi) Des hommes protégés de Robert Merle.
Conclusion
Un roman passionnant et édifiant que je suis très heureuse d'avoir découvert grâce au prix Qd9 2010 et au bon goût de mon cousin-juré !
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1 commentaire:
celui-ci, je voudrais bien le lire !
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