Bonjour aux habitant(e)s de Zuydcoote
Bonjour aux zotres
Si j'ai bien compris quelques bribes de discussion famiale entendues quand j'étais enfant, un de mes grands pères était du côté de
Dunkerque en juin 1940 et aurait fait partie des quelques 340.000 hommes embarqué vers l'Angleterre (opération
Dynamo). A creuser...
Lors de sa sortie en 1964, le film
Week-end à Zuydcoote d'
Henri Verneuil avec
Jean-Paul Belmondo et
Marie Dubois avait attiré quelques 3 millions de spectateurs et je ne doute pas que grace à ses nombreuses rediffusions télévisuelles, il est moins tombé dans l'oubli que ne le prétend à regret la critique que je viens de lire sur un
site anglo-saxon consacré au cinéma français.
Combien de personnes savent que ce film est tiré d'un excellent roman de
Robert Merle qui a connu la débâcle de la poche de Dunkerque et obtint le
Prix Goncourt en 1949 en l'évoquant ?
Le sujetLe livre et le film racontent par le petit bout de la lorgnette ces quelques jours de juin 1940 où les troupes françaises et anglaises massées sur les plages des environs de Dunkerque n'avaient qu'un hypothétique et périlleux embarquement pour la Grande-Bretagne comme seul espoir d'échapper aux allemands tous proches et à leurs bombardements incessants. Pour ces hommes acculés la guerre était finie et ils ne pouvaient qu'attendre, soit un bateau providentiel, soit la captivité, soit une mort inutile et absurde.
Mon avisDans une quasi unité de temps, de lieu et d'action (ou plutôt d'inaction) sur 250 pages, nous suivons 2 journées décisives de la vie de Julien Maillat, un homme presque ordinaire et pas forcément sympathique, découpée en 4 parties : samedi matin, samedi après-midi, dimanche matin, dimanche après-midi.
Plus que la peur et la colère, la lenteur, l'ennui, la résignation, la violence mais aussi une certaine tendresse suintent du style faussement simple de l'auteur, des mots, des remarques banales appuyées par de nombreuses répétitions volontaires, des situations absurdes, des observations de détails comme la tâche ronde laissée par un verre de vin rouge sur une toile cirée ou une robe qui se relève d'elle-même sur les cuisses d'une morte portée sur un brancard, faites sur le même ton factuel si bien qu'on se demande presque laquelle de ces 2 situations est la plus banale.
Bien sûr, le style a un peu vieilli (pas tant que ça en fait) mais
Week-end à Zuydcoote est un livre émouvant et habile qui ne verse ni dans le pamphlet ni dans la sensiblerie facile. L'auteur parvient à écrire un roman fort et implacable sans chercher à ce que le lecteur s'attache aux personnages, pas forcément sympathiques, souvent mesquins et aucunement des héros, des hommes de passage regroupés là bien malgré eux dans une attente commune et aux vies tellement aléatoires qu'on imagine qu'en juin 40 non plus il était impossible de s'attacher à qui que se soit.
Petite précision : j'ai vu le film avant de lire le livre et cela n'a en rien diminué le plaisir que j'ai pris à ma lecture tant le roman est subtil et intéressant.
Quelques extraitsSur sa droite, entre deux maisons détruites, Maillat remarqua dans un enclos un cheval mort. Il était étendu les quatre pattes en l'air, le ventre énorme. A quelques mètres de lui, deux autres chevaux se dressaient, immobiles. L'un d'eux était blessé à l'épaule. L'autre se tenait près de lui, croupe contre croupe, et de temps en temps lui léchait sa blessure. Tout à coup le cheval blessé leva la tête comme s'il allait se mettre à hennir. Sa gueule s'entrouvrit, mais aucun son ne sortit. Il agita alors la tête de droite à gauche, et Maillat vit dans un éclair ses yeux tristes et doux se poser sur lui. De nouveau, le cheval blessé leva la tête, puis il recula d'un pas, posa son museau sur l'encolure de son compagnon et ferma les yeux. Il resta ainsi quelques secondes, dans une attitude indéfinissable de lassitude et de tendresse. Ses pattes de derrière n'arrêtaient pas de trembler. (P.67)
- Il prend son thé
- Ah bon ! dit Maillat. Et pourriez-vous me dire quand il reviendra ?
- Il est parti il y a vingt minutes.
- Alors, il va bientôt revenir ?
- Oh ! non, le capitaine Feery ne prend jamais moins de 3/4 d'heures pour son thé.
- c'est un homme qui boit lentement.
- Je ne dirais pas cela, dit le tommy d'un air de réfléchir sérieusement aux données du problème. Je dirais plutôt que c'est un homme qui boit vite, mais qui mange lentement. (P.85)
A la fin ils pouvaient plus le piffer mon F.M. : ils ont même essayé de me le piquer, une nuit. C'est salaud, quand même, tu avoueras.
Il reprit d'un air rageur.
- J'serais même pas étonné, quand je les ai perdus, qu'ils aient fait exprès de me semer.
Maillat le regarda du coin de l'oeil. Il l'imaginait pendant les dix jours où il avait marché seul sur les routes, seul dans une cohue de soldats où il ne connaissait personne, dix jours sous un soleil de plomb, sous ce fourniment qui le tassait et le boudinait ridiculement, avec sa vareuse boutonnée jusqu'au col, son chandail, ses deux énormes musettes, ses molletières, et sur l'épaule, ses dix kilos de F.M. ! Et il avait cherché des cartouches pour continuer à tirer, et à chaque avion qui piquait sur la colonne, il avait lâché une rafale, sans que personne le lui commande, simplement parce que ça lui déplaisait, quand on lui tirait dessus, de ne pas répondre. Maillat regardait avec étonnement ce drôle de petit guerrier farouche qui continuait à faire la guerre, quand tout le monde y avait renoncé. (P.96/97)
Ils font les sucrés, comme ça, devant le monde, n'empêche que je les ai déjà vus, qui piquaient des alliances, en douce, aux macabs. Tu me diras, qu'est-ce qu'ils en ont à foutre, les macabs, de leurs alliances ? Je ne dis pas, mais c'est quand même pas une chose que je ferais. Les morts, c'est les morts, hein? Ils voient plus rien, ils sentent plus rien, les pauvres gars. D'accord et c'est pas la peine de la leur faire au respect, alors que tout ce qu'on va en faire, c'est de les foutre dans la glaise. Mais ce n'est pas une raison, non plus, pour leur piquer leurs alliances. C'est pas pour eux, tu comprends, c'est pour toi. C'est pour toi que c'est dégueulasse. (P.192)
Comme j'dis toujours : seize ans, ça va. Mais plus tard, c'est trop tard. Je sais ce que j'dis vieux. Une femme qui commence pas à seize ans, rappelle-toi que ça ne fera jamais une bonne baiseuse. Moi si j'étais ministre, je ferais des lois pour ça. Je leur ordonnerais, aux gens : "votre môme a seize ans ? Allez, A l'homme ! Et hop ! Tout de suite ! Pas de rouspétance ! Je sais ce que j'dis. Vieux, tu as de ces filles de bourgeois, si c'est pas malheureux, à 15-16 ans, elles jouent encore à la poupée ! Une poupée ?... Une poupée ?... C'est une grosse b..., oui, qu'il leur faudrait ! Et tout de suite ! Je sais ce que j'dis. Plus tard c'est trop tard. Ca fera jamais une bonne baiseuse, dis-toi bien. (P.194/195)
Quelques liensInfos sur la bataille de Dunkerque
ici et
là et encore
làLe roman sur
Wikipedia, sur
Livrenpoche, sur
A voir à lireL'analyse de
Jean-Christophe Rufin pour le site de
L'express
ConclusionUn livre à lire et ne surtout pas oublier de lire aussi, du même auteur, le chef d'oeuvre intitulé
La mort est mon métier.