mardi 8 septembre 2009

Petite histoire de la nymphomanie (de Carol Groneman)

Bonjour aux nymphomanes
Bonjour aux hystériques
Bonjour aux zotres

J'ai fait allusion à cet excellent livre dans ma sélection de lectures bloggesques de la semaine 36. Voici ce que j'avais écrit le 06/09/02 (pratiquement 7 ans jour pour jour) et complété par le résumé du livre trouvé sur Decitre (ici).

Contexte

J' ai remarqué depuis que je collectionne les cochons, qu'il y avait des goûts et des centres d'intérêt qu'il fallait justifier et d'autres qui allaient de soit comme la numismatie ou la philatélie. Dans le même ordre d'idée, je ne compte plus le nombre de gens qui m'ont demandé, souvent avec un petit sourire plein de sous entendus, pourquoi j'avais lu Petite histoire de la nymphomanie de Carol Groneman alors que personne ne m'a posé la question pour Week-end à Zuydcoote Goncourt de Robert Merle ou La passion des femmes de Sébastien Japrisot par exemple.

En fait, je suis tombée sur ce livre par hasard chez un bouquiniste, un jour où je venais d'acquérir Les errants de la chair de Jean-Pierre Winter, ouvrage consacré à l'hystérie masculine, sujet que je trouve vraiment passionnant et trop souvent ignoré. J'ai trouvé la coïncidence amusante et il se trouve que le sujet m'intéresse aussi tant il est vrai le terme de "nympho" recèle une certaine ambiguïté voire une ambiguïté certaine... au point qu'on ne sait plus vraiment s'il s'agit, dans l'esprit de ceux qui utilisent le terme, d'une insulte ou d'un compliment, d'une condamnation morale ou d'une jalousie concupiscente.

D'abord c'est quoi une nymphomane ?

L'auteure, une historienne américaine répond à plusieurs reprises par cette définition qui est beaucoup moins une boutade qu'il n'y paraît : "une nymphomane c'est quelqu'un qui fait l'amour plus que soi-même" tant il est vrai que le propos repose presque exclusivement sur un jugement de valeur et quel meilleur (ou pire) étalon (si j'ose dire) de cette "valeur" que le comportement personnel de celui ou celle qui l'émet ?

Résumé du livre sur Decitre

Qu'est-ce que la nymphomanie ? Une femme peut-elle éprouver un désir sexuel excessif ? Et qui en décide ? Empruntant à l'histoire des anecdotes à la fois comiques et tragiques, Carol Groneman aborde une notion sujette à des définitions fluctuantes, davantage révélatrices des préjugés et des fantasmes d'une époque que d'une pensée rigoureusement scientifique. Maladie organique pour les médecins du XIXe siècle, désordre psychologique pour les psychanalystes du XXe siècle, mais avant tout menace contre l'ordre moral établi, la nymphomanie a eu des conséquences souvent ravageuses pour celles qui en étaient accusées - ou s'en croyaient elles-mêmes atteintes : opérations mutilantes, internement, mise au ban de la société, etc. Ces clichés, qu'on pourrait croire révolus, imprègnent aujourd'hui encore notre culture et c'est avec un savoir non dénué d'humour que Carol Groneman les met au jour en s'interrogeant sur le regard, resté ambigu en dépit de l'évolution des moeurs, porté par notre société sur la sexualité féminine.

Mon avis

L'auteure s'intéresse à ce sujet sur le plan historique (c'est à dire au XIXe et XXe siècles aux Etats Unis) et à 3 niveaux :
- tout d'abord, l'évolution de ce qui est considéré comme comportement hors norme et taxé de nymphomanie ou bien de satyriasis chez les hommes (le sujet est effleuré en miroir),
- ensuite, les traitements proposés et solutions (sic) apportées à la nymphomanie,
- enfin et surtout selon moi, de façon transversale, les censeurs et spécialistes consultés et les sphères sociales concernées par la nymphomanie.

S'agit-il en effet d'un problème moral à confesser à son directeur de conscience, d'un dérèglement hormonal à réguler chimiquement, d'une maladie clinique pour laquelle consulter son médecin ou gynécologue, d'une affection psychologique ou mentale à évoquer face à un psychothérapeute voire un psychiatre ?

Cette question est fondamentale mais l'auteure ne tranche évidemment jamais tant les cas de nymphomanie avérée sont rares voire pratiquement inexistants et tant ce débat est stérile (quasiment hors-sujet : on n'est pas dans un livre clinique) et montre que selon les individu(e)s et/ou selon les époques, la réponse varie avec des conséquences plus ou moins dramatiques pour les pauvres femmes convaincues de nymphomanie.

Si d'aucuns ont pu dire "nous sommes tous des juifs allemands" ou "nous sommes tous des New Yorkais" suite aux attentats du World Trade Center, après avoir lu ce livre j'ai envie de dire : "Nous sommes toutes des nymphomanes" et surtout d'ajouter : "c'est tout de même vachement bien de vivre ici et maintenant".

Il faut songer que des milliers et des milliers de femmes ont subi des ablations du clitoris et/ou des ovaires pour avoir fait des rêves érotiques et, affolées, s'en être inquiétées auprès d'une "autorité compétente" (re-sic). On ne compte pas, au cours du XIXe siècle, le nombre de femmes internées en asile psychiatrique, parfois à vie, pour avoir été surprises en train de se masturber. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à certains traitements récents de l'anorexie mentale.

Au début du XXe siècle, les cas d'emprisonnements de "filles de mauvaise vie" (comprendre des ouvrières vivant seules, indépendantes financièrement et sortant au bal) pour les protéger d'elles-même et non parce qu'elles avaient commis un délit (de nos jours et pour le même "motif", on emprisonne à vie des femmes violées en Jordanie pour leur éviter d'être assassinées par leur famille).

Cet essai, rédigé dans un style plus anecdotico-journalistique que scientifique (comme beaucoup d'ouvrages made in USA du genre), se lit très facilement, comme un roman paradoxalement comique à force d'être triste et cruel, parfois cynique et désabusé devant la mauvaise foi, les jeux et retournements d'alliance (entre les conservateurs et les féministes en matière de pornographie par exemple), les intrusions aberrantes et hypocrites du législateur. A la lecture de certains passages on ne peut s'empêcher de ressentir colère et impuissance devant tant de bêtise et de cruauté avant tout fondées sur un sexisme plus que millénaire et encore profondément enraciné chez certain(e)s de nos jours.

Ce livre procure en outre une intéressante étude de moeurs bien documentée qui, à sa façon, rappellera un peu les romans de Jane Austen ou Edith Wharton*dont je vous conseille à nouveau la lecture tant ils sont bien écrits, subtils et féministes (je rappelle que ce terme n'est pas plus péjoratif que n'importe quel autre mot en "iste").

Conclusion

Passionnant et édifiant. Une lecture à conseiller notamment à Sophie Bramly et qui lui aurait peut-être évité d'écrire des âneries sur l'orgasme (féminin).

* : Sur ma liste à moi que j'aimeuh beaucoup http://fr.groups.yahoo.com/group/Quoide9 créée en mais 2000, on trouve plusieurs critiques de romans de Wharton notamment The Age Of Innocence (n°1322) et Les Boucanières (n°5).

11 commentaires:

Cynthia a dit…

Mais au fait, pourquoi collectionnes-tu les cochons? ;)
Billet très intéressant, titre noté!

mazel a dit…

sur le cochon tu as : "Une vraie boucherie" de Bernard Jannin, parut l'an dernier... un petit livre assez sympa sur le cochon (en morceaux)...

j'essaie de retrouver, mais il me semble bien avoir fait un article l'an dernier sur le thème du cochon justement avec pas mal de pistes de lecture...


pour ce qui est du cas d'emprisonnements de "filles de mauvaise vie"... je dois avoir quelques bricoles dans ma bibliothèque... je regarde ce soir et je te donnerai les titres...

bonne journée
bises

Melanie B a dit…

Billet très intéressant. Quid du livre sur l'hystérie masculine ? Le sujet m'intrigue aussi. Tu vas nous en parler ?

Cécile Qd9 a dit…

@ Cynthia : atavisme sarthois, excès de rillettes...

@ Mazel : oui, on a déjà parlé de ce livre et il attend sagement chez moi. Tiens, sache que j'ai acheté un livre très bien sur l'argot de boucher pour mon père ça s'appelle "larlepem louchebem" je crois mais j'ai oublié de qui c'est (un fils de boucher en tout cas).

Cécile Qd9 a dit…

@ Mélanie : je n'ai lu que le début car ça s'est vite averé très psychanalytique (traduire : un peu chiant à lire). Je m'attendais à quelque chose de plus sociologique.

Alex, Mot-a-Mots a dit…

On apprend pleins de choses !

Melanie B a dit…

Tiens, j'ai un titre d'ouvrage à te suggérer, je n'en ai lu qu'un extrait mais il a l'air plutôt intéressant : "La virilité : à quoi rêvent les hommes ?", de Thierry Hoquet, chez Larousse.

Océane a dit…

Celui ci je dois me le procurer, tu as fini de me convaincre. J'ai toujours été étonnée, blessée, du traitement psychiatrique qui a toujours été fait du comportement des femmes, dès qu'elles sont un peu indépendante d'esprit. Toutes ces théories sur l'hystérie, la nymphomanie etc.... je sens que je vais aimer cet ouvrage.

liliba a dit…

Je VEUX être nymphomane !!!

Et je veux bien que tu me prêtes ce bouquin...

liliba a dit…

En échange, je peux t'envoyer une "Histoire des maîtresses" assez intéressante.

Cécile Qd9 a dit…

@ Alex : je confirme

@ Mélanie : merci por l'info

@ Océane : c'est vraiment une lecture intéressante et édifiante

@ Liliba : je ne l'ai plus... un prêt justement (mais à qui, je ne sais plus). Je pense qu'il se commande facilement en librairie car je n'ai pas vu d'infos comme quoi il était épuisé.