jeudi 19 février 2009

L'affaire de la rue de Lourcine (d'Eugène Labiche)

Bonjour à Caroline
Bonjour aux zotres

Depuis que je rédige de temps à autres des critiques théâtre (mai 2000 environ), je répète que le plaisir que l’on prend (ou pas) face à une pièce dépend de trois éléments :

1/ la qualité (ou pas) du texte
2/ la qualité (ou pas) des acteurs/trices
3/ la qualité (ou pas) de la mise en scène

Il m’est subitement apparu qu’un autre facteur entre aussi en ligne de compte : la réceptivité du public en général (tant il est vrai que le théâtre mérite le qualificatif de spectacle « vivant ») et ses goûts personnels en particulier.

Je ne suis pas fan de théâtre de boulevard et, spontanément, je ne suis guère adepte de Courteline et autres Feydeau. Si je peux prendre plaisir (je suis, je crois, bon public) devant un classique du genre (ce fut le cas récemment avec Le plus heureux des trois de Labiche), il ne s’agit cependant jamais d’un choix personnel et spontané. De fait, j’étais invitée avec une mienne amie par le théâtre de la Pépinière où j’avais récemment eu le bonheur de voir et de m’enthousiasmer pour deux excellents spectacles modernes Shitz et Europeana dont j’ai déjà dit ici et ici tout le bien que je pensais (et dont j’attends les reprises pour vous redire de courir les voir !!!).

Je ne connaissais rien de la fameuse «Affaire de la rue de Lourcine » d’Eugène Labiche et j’ai découvert le synopsis quelques minutes avant le lever de rideau devant une salle pleine mais froide. Si je l’ai ressenti depuis mon fauteuil, je doute que ce soit passé inaperçu sur scène et je pense que ce détail n’en est pas un.

Mais en même temps je me pose une question : qui est l’œuf qui est la poule ? Quelle est la cause et quel est l’effet ? La salle était-elle froide d’insatisfaction ou le spectacle était-il en deçà de ce qu’on pouvait en attendre en raison de la froideur de la salle ? On peut sans doute résumer la situation d’un prudent « les deux mon général » et souligner que les rires étaient rares et l’ennui parfois palpable tant sur scène que dans la salle et j’ai mon avis sur le pourquoi du comment de la chose.

Le texte

L’affaire de la rue de Lourcine est une courte pièce composée d’un seul acte et d’une vingtaine de tableaux. L’histoire est simple : Lenglumé, un bourgeois un peu bête voire franchement idiot est sorti la veille en cachette de sa femme pour se rendre à un banquet où il a bu plus que de raison au point de se réveiller le matin avec une gueule de bois carabinée, un trou de mémoire gigantesque et, dans son lit, un parfait inconnu aussi saoul et amnésique que lui … Le tout devient inquiétant et en même temps prétexte à la farce quand les deux compères croient avoir commis un meurtre au cours de leur nuit d’errance.

On n’aime ou on n’aime pas Labiche mais l’on sait à quoi s’attendre, des portes qui claquent, des quiproquos, des velléités comiques affichées et plus ou moins réalisées selon les points de vue. Ici, le texte aurait à mon avis gagné à être dépoussiéré car si certains effets pouvaient amuser au milieu du XIXe (la pièce date de 1857) je doute que ce soit encore le cas en 2009 et entendre le valet remplacer les m et les p par des b parce qu’il est « enrhubé » ne suscite visiblement pas l’enthousiasme du public pendant les premières minutes de la pièce.

Les acteurs

La pièce compte 5 personnages. Outre les deux pochtrons et le valet, on voit aussi Norine, la femme de Lenglumé et le cousin de cette dernière joué par le même acteur que le valet. Le quatuor de comédiens joue hélas de façon très inégale. Les deux compères sont magnifiquement servis par Pierre Berriau, méconnaissable, loufoque et échevelé campe un Mistingue drôle et crétin à souhait, et par Yann Collette absolument grandiose loin des personnages souvent inquiétants qu’on lui confie chez Bilal ou ailleurs. Il y a un je-ne-sais-quoi de Bourvil mâtiné de Daniel Prévost dans son jeu décalé et il parvient à donner une vraie personnalité presque attachante à Lenglumé. Toutes les scènes les réunissant sont formidables. Le personnage peu intéressant et très passif de Norine ne permet hélas pas à Christine Pignet (inoubliable Madame Groseille de Chatilliez) de donner sa pleine mesure comique. Dommage. Le vrai point faible de cette distribution est Alexandre Michel qui ne parvient à convaincre ni en valet ni en cousin et chacune de ses apparitions casse le rythme déjà mollasson de la pièce.

La mise en scène de Jérémie Lippmann

C’est, selon moi le très gros point faible de ce spectacle et les acteurs sont visiblement mal (pas ?) dirigés. Certes il n'y a vraisenblablement pas grand chose à faire pour Alexandre Michel (sinon lui conseiller la plus grande sobriété et une élocution plus rapide et moins plate) mais quel besoin de faire de Norine une caricature ne se déplaçant qu'en sautillant et les bras en l'air ? Quelle idée de faire adopter à Christine Pignet un visage constamment mobile aux expressions caricaturales et aux lèvres pincées ? Heureusement Collette et Berriau s'en sortent fort bien.

Lorsque « le plus heureux des trois » avait été joué en avant première un mois avant la date de la première représentation, j’avais dit à David Frizsman que la pièce manquait de rythme, que les acteurs n’étaient pas en place. Il était parfaitement conscient du problème et, un mois plus tard, lorsque j’avais assisté à la troisième représentation, la pièce durait 20 minutes de moins, les pauses lors des enchaînements avaient disparu et les répliques fusaient.

L’affaire de la rue de Lourcine se joue depuis quelques semaines déjà et ce manque de rythme est toujours manifeste et, contrairement à l’exemplaire précité, il ne s’agit visiblement pas d’un problème de préparation mais bien d’un défaut structurel de mise en scène que le parti-pris d’un décor quasi inexistant n’aide pas à masquer.

L’objectif était-il de faire durer plus longtemps un spectacle court par nature (à tel point qu’il est souvent représenté en même temps qu’une autre courte pièce) ? Le résultat est de diluer le peu d’action dans des secondes de vide entre deux répliques qui s’enchaînent mal, deux déplacements approximatifs, des minutes d’ennui mal meublées de superflu qui font qu’on a effectivement l’impression que la pièce dure des heures et des heures… mais on s’ennuie ferme !

Heureusement, elle est jalonnée de quelques chansons originales signées Ours et Lieutenant Nicholson qui peuvent sans doute déconcerter les puristes mais que j’ai beaucoup aimées. L’effet est à la mode ces temps-ci et bon nombre de pièces que j’ai vues en 2008 étaient lardées, avec plus ou moins de nécessité et de réussite, de chansons ou d’extraits musicaux. Ici, les ponctuations chantées apportent un rythme bienvenu et, avec les scènes de Berriau et Collette, ce sont les seuls moments vraiment intéressants (et par définition modernes) de la pièce. Je crois, mais c'est à vérifier, que la version originale de la pièce prévoit elle aussi des intermèdes chantés.

Infos pratiques et quelques liens

Représentations à 21h00 du mardi au samedi et matinées à 16h00 le samedi
Le site du théâtre de la Pépinière Opéra (7 rue Louis Le Grand 75002 Paris)
La vie et l'oeuvre d'Eugène Labiche sur Wikipedia
Une critique incroyablement élogieuse sur theatre on line ici
Une video Télérama plutôt sévère avec laquelle je suis en partie (mais seulement en partie) d'accord ici

Conclusion

Un résultat mitigé où deux merveilleux acteurs confrontés à une mise en scène bâclée et une grande actrice dans un rôle sous dimensionné ne suffisent pas à sauver le public d’un ennui parfois manifeste. A voir pour Yann Collette et Pierre Berriau à qui j'adresse mes applaudissements les plus admiratifs.

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