mardi 24 février 2009

Deux livres grandioses (de Curzio Malaparte)

Bonjour à celles et ceux qui ont lu ces livres
Bonjour aux zotres

Ce message a initialement été rédigé le 30/07/01. Je n'en ai pas changé une ligne, j'ai juste structuré le tout en 4 paragraphes, ajouté les titres correspondants et cette introduction qui me permet de dire à quel point je suis d'accord avec l'excellent bla-bla de Pierre Assouline datant du 13/12/06 : non seulement Kaputt n'a pas pris une ride mais c'est un choc physique, moral et esthétique dont on ne doit pas se priver. Dans ma vie de lectrice, il y a un avant et un après Malaparte.

L'AUTEUR

Si un jour je devais écrire un poème en hommage à la littérature, la beauté, la violence et la force de l'expression écrite, j'aurais plaisir à faire rimer Louis CALAFERTE et Curzio MALAPARTE et je me débrouillerais pour rappeller cette phrase de GIDE gravée dans ma mémoire depuis une vingtaine d'année et qui a surement orienté bon nombre de mes choix : "les bons sentiments font la mauvaise littérature".

Pour parler de cet auteur, le mieux est de commencer par un bref survol biographique (merci le 4e de couv de FOLIO) : né près de Florence en 1898 et mort en 1957, il s'est engagé dans l'armée française pendant la première guerre mondiale. En 1931, un livre le fait condamner à 5 ans de déportation dans les îles Lipari. Correspondant de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, il décrit ce qu'il a vu dans les images baroques, atroces et somptueuses de KAPUTT. LA PEAU paraît en 1949.

KAPUTT

L'an passé j'ai dévoré KAPUTT. L'histoire même de ce livre est fascinante : il a été commencé en cachette dès 1941 dans un village d'Ukraine et poursuivi en Pologne, en Finlande au gré des déplacements de l'auteur... Il est publié dès 1943 après le retour de MALAPARTE en Italie suite au débarquement Allié. MALAPARTE décrit KAPUTT comme "un livre horriblement cruel et gai" et cette définition me semble parfaite tant il décrit avec virtuosité et talent les épisodes atroces dont il a été témoin sur le front de l'est et dont les principaux protagonistes sont les soldats russes, polonais, roumains et bien sûr allemands mais aussi les juifs du ghetto de Varsovie ou de petits villages isolés, des enfants, des prisonniers de guerre russes...

Il n'y a pas de souci de progression linéaire ou d'exhaustivité dans KAPUTT qui s'attache à certains faits choisis, des anecdotes ou des descriptions et qui recèle les pages les plus marquantes et les plus belles (pour moi c'est sensiblement la même chose) que j'ai lues de ma vie. Il s'agit d'un épisode intitulé LES CHEVAUX DE GLACE qui se déroule dans une forêt finlandaise fin 42 et début 43. MALAPARTE est indéniablement un homme brillant, raffiné, cultivé qui émaille ses pages de références à GARCIA LORCA, STENDHAL, WATTEAU, GOYA, TCHAIKOVSKY, aux philosophes classiques, etc. Il possède des anecdotes sur chacun, cotoie la plus haute noblesse et tous les puissants d'Italie et d'Europe. Il dîne à leur table, reçoit leurs confidences, répond à leurs questions et donne son avis avec un détachement et un recul qui bien souvent font plus que frôler l'insolence et pourraient lui attirer quelques sérieux ennuis.

LA PEAU

KAPUTT m'a laissé un souvenir si marquant que, lorsque j'ai trouvé LA PEAU au marché aux livres d'occasion du square Georges Brassens (j'en parle souvent mais c'est tellement bien...), je l'ai immédiatement acheté mais ai préféré attendre patiemment plus d'un an avant de l'ouvrir afin de mieux le déguster. Parfois je sais être patiente... LA PEAU est en quelque sorte "la suite" ou "le pendant" de KAPUTT. L'action se situe en Italie, plus précisément à Naples après le débarquement allié et les principaux protagonistes sont la population de la ville et les soldats américains, "les libérateurs". LA PEAU raconte donc cette étrange confrontation de deux mondes, l'ancien opprimé, détruit, malade, affaibli et le nouveau, conquérant, jeune, insouciant, inculte, inconscient des problèmes et du mal même que génère sa présence mais prêt à mourir pour l'Europe.

L'avant propos de l'édition Folio remarque "Il semblait presque impossible de dépasser KAPUTT dans l'horreur ; or il y a dans LA PEAU des pages où l'horreur de KAPUTT est non seulement dépassée, on pourrait dire qu'elle est résolue grâce à un élément nouveau qui déjà affleurait dans KAPUTT et qui triomphe ici de l'horreur même : c'est l'humour. Un humour implacable, féroce, allégrement féroce, si puissant qu'il rend l'horreur de certaines pages pour ainsi dire cordiale, et quasi aimable." Certes.

Certains passages m'ont littéralement donné la nausée tant, face à la misère et à la bêtise, ils brillent de cruauté. Mais au delà de cette atrocité et de cet humour sans lequel on se demande comment l'auteur aurait survécu à ce qu'il a vu et surtout à sa lucidité face aux événements et à la clairvoyance de ses analyses implacables et pessimistes, au delà de tout cela donc, il y a la culture, la sensibilité, le témoignage historique et social et par dessus tout, puisqu'on parle littérature, l'écriture magnifique et poétique de MALAPARTE.

CONCLUSION

Pour moi MALAPARTE figure en tête de liste des auteurs qui comptent pour moi avec CALAFERTE, TOURNIER, GARY/AJAR, ERNAUX, SCHLINK, DARD, KUNDERA, CELINE, ANOUILH, STEINBECK, BEAUVOIR... Je vous conseille vivement ces deux ouvrages grandioses en commençant par KAPUTT, sans doute plus facile d'accès. Le cynisme omniprésent dans LA PEAU peut dérouter de prime abord. C'est un peu comme si MALAPARTE disait dans son premier ouvrage "c'est l'horreur totale" en concevant l'espoir que les choses s'arrrangent et qu'il constatait dans le suivant que rien ne va mieux et qu'il n'y a plus d'espoir.

2 commentaires:

Vero a dit…

Bravo pour ce très bon billet qui exprime avec justesse ce que l'on ressent en lisant Malaparte. Je suis dans "La peau" depuis deux jours et c'est une vraie claque!

Bénédicte a dit…

Merci pour ce billet sur les écrits de Malaparte que j'ai découvert avec Le compagnon de voyage Je trouve un intérêt historique à tous ses écrits et j'aimerai bien les lire aussi Je te laisse un lien vers mon article sur ce livre si cela t'intéresse Merci de tes commentaires lorsque tu me rendras visite
http://pragmatisme.over-blog.fr/article-le-compagnon-de-voyage-curzio-malaparte-47364781.html