Bonjour les zotres
Certains livres sont de véritables rencontres et certaines rencontres sont irrémédiablement associées à des livres.
Hécate et ses chiens m'a permis de rencontrer un grand auteur dont je n'avais encore jamais rien lu, Paul Morand, cher à Mitterrand qui toutes égales par ailleurs, n'était la la dernière truffe venue en matière de goûts littéraires.
Il m'a été offert par un critique littéraire avec qui, allez savoir comment, nous avons parlé aquarium pour conclure l'un et l'autre que nous n'aimions les poissons que morts accompagnés d'une petite sauce crémée pour en déduire immédiatement qu'il était indispensable que nous nous donnions rendez-vous dans un restaurant pour faire mieux connaissance devant du poisson mort.
Comme je lui avais parlé des dîners livres échanges, il a suggéré que nous apportions chacun un livre à faire découvrir à l'autre. Vaste et périlleuse entreprise ! Que pouvais-je apporter à un critique littéraire qui, en me parlant de ses goûts ne me citait que des auteur(e)s aussi défunts que des poissons dans une assiette alors que je préfère ceux qui gigotent encore (là, je parle littérature, pas aquariophilie).
J'ai finalement opté pour La douceur des hommes de Simonetta Greggio, pour le fond, pour la forme (l'auteure italienne écrit directement en français) et, je l'avoue, pour le titre aussi. Il est arrivé avec Hécate et ses chiens de Paul Morand et d'emblée je le remerciai mentalement d'avoir choisi un livre plat comme une limande plutôt qu'un pavé de thon.
Le sujet
Entre les deux guerres mondiales, frais émoulu de l’Inspection des Finances, un jeune banquier est muté en Afrique du Nord. Il décide d'assoir son statut d'expatrié bourgeois et, parmi ses priorités figurent le choix de quelques meubles de goût et celui d'une maîtresse. Cette dernière se prénomme Clotilde et est déjà mariée à un officier exilé en Asie. Bientôt le narrateur a des doutes sur sa sensualité et la nature des fantasmes inavouables qui la nourrissent.
Mon avis
Hécate et ses chiens ne compte que 103 pages mais quelles pages ! La prose de Paul Morand est précieuse. Précieuse au sens de rare et non au sens de maniérée. Si elle est certes un brin désuète (le roman été publié en 1954), elle n'en est pas moins formidablement naturelle et surtout très belle, quasi poétique à l'oreille car Morand possède au plus haut point le sens du mot exact et de la phrase juste. Son écriture un miracle d'équilibre à la fois précise sur le fond et allusive sur la forme. C'est remarquable.
Je ne vous dirai rien ici des démons de Clotilde et je vous laisse le soin d'admirer la manière à la fois terriblement directe et empreinte de délicatesse dont Morand traite son sujet.
J'ai tellement aimé les mots de Morand que j'ai lu le livre au moins 2 fois, m'attardant sur certains passages, les relisant pour ne pas les quitter. Le substantif qui me vient en tête pour les qualifier est "beauté".
Quelques extraits
Matériellement et moralement elle était libre, avec quelque chose d'indélibéré, de vacillant, de fragile qui l'embellissait à l'extrême. (P.20)
L'amour prend beaucoup de temps ; c'est pourquoi il fleurit mieux en province ; à Paris, tout parle d'amour, les robes, les parfums, les mets, les théâtres, mais personne n'a le temps de le faire. (P.23)
Les mots sont faits pour ceux qui n'ont rien à se dire. (P.24)
D'est ou d'ouest, le vent ne cessait jamais ; il lançait furieusement ses crochets à droite ou à gauche, et si le calme revenait un instant, c'était un accident inexplicable ; tordus, terrassés, les arbres n'en pouvaient plus ; les pique-boeufs s'en détachaient comme des pétales de magnolia ; les cigognes elles-mêmes étaient emportées, plus légères qu'un fétu, leurs grandes pattes pendantes ; les alouettes, lancées par un ressort invisible, s'immobilisaient en l'air, ailes fermées, riant comme des filles chatouillées. Le vent était si fort que les murs les plus solides avaient des gémissements de claies d'osier et que les fumées retombaient, écrasées contre les toits, sans avoir pu rien écrire sur le ciel. (P.27)
Le roman n'est pas exempt d'une misogynie évidente liée à l'époque.
Comme toutes les amoureuses, elle apprenait par osmose. (P.38)
Quelques liens
Des éloges sur Critiques libres
une non rencontre regrettée sur Bookine
Hécate et les ménades sur Wikipedia : mais leur fréquentation n'a rien de nécessaire pour lire et apprécier le livre.
Mon avis
Ma découverte de Morand m'a tellement enthouasiasmée que je me suis précipitée dans une librairie pour acheter le premier Tome de ses oeuvres dans la Pléiade (qui en a publié 3).