jeudi 16 juin 2011

Indignez-vous ! (de Stéphane Hessel)

Bonjour aux zindigné(e)s
Bonjour aux résigné(e)s
Bonjour aux zotres

Quelques mètres cubes d'eau chlorée et quelques centimètres carrés de lycra moulant favorisent les rapprochements surtout entre personnes ayant chacune un livre bien en vue sur son transat. Etre deux brasses coulée, j'ai donc demandé "C'est bien ?" au propriétaire d'un exemplaire de Indignez-vous ! et il m'a assuré que c'était formidable, à méditer, à relire plusieurs fois et patati et patata.

Il a fini par me proposer de me le prêter et j'ai accepté sans me faire prier. Une petite demie-heure plus tard, une fois les 20 et quelques pages avalées (contrairement à l'eau que je recrache), je n'ai pu retenir un "c'est tout ?" qui dans mon esprit, sonnait nettement moins comme un regret devant la brièveté de l'ouvrage que comme un reproche envers l'indigence de son contenu.

Sans aller jusqu'à m'indigner, je m'étonne néanmoins du succès selon moi inexplicable du pamphlet de Stéphane Hessel. Indignez-vous ! est d'une superficialité navrante et d'une évidente platitude un brin neu-neu... L'indignation d'Hessel, c'est la prose de Monsieur Jourdain, l'humour de Molière en moins.

Ah ben oui, la guerre c'est très mal, quant au terrorisme n'en parlons pas et la maladie c'est bien triste et la famine aussi surtout quand on songe aux profits des vilains labo pharmaceutiques et consortiums agro-alimentaires ... Quant aux sans papiers, aux clandestins, évidemment, ça ne peut laisser indifférent, c'est même bouleversant quand on y songe plus de 9 secondes. Individuellement il s'agit de terribles drames humains mais collectivement, c'est un vrai problème renforcé par de multiples malentendus et non dits à traiter bien avant nos frontières (citons la corruption, l'économie parallèle, le grand écart entre ignorance, manque crucial de sens critique et de réflexe analytique, la pression familiale, les mensonges des migrants qui ne peuvent perdre la face et admettre qu'ils galèrent et accès à l'internet mais aussi... la religion) et avec un peu moins de légèreté qu'une indignation post-adolescente (je sais qu'Hessel a 93 ans mais on peut parfois en douter à le lire), viscérale (adressant donc uniquement à notre émotion et non à notre raison) et teintée d'angélisme.

Ce sentiment est renforcé depuis mes divers séjours professionnels à Casablanca, Conakry ou Dakar où j'ai eu l'occasion de cotoyer des gens très pauvres candidats à l'exil (ou pas du tout) et de discuter avec eux, de cerner leurs motivations, leurs illusions, leur responsabilité de devoir entretenir des familles exigeantes souvent inalphabètes. Je sais aussi, parfois, les mensonges ou les silences de ceux qui ont traversé la Méditerranée pour ne pas perdre la face, pour ne pas décevoir tous les espoirs placés en eux qui, par là-même, motivent d'autres candidats à l'exil au lieu de les dissuader comme des mères excisées sont les premières à exciser leurs filles au lieu de les protéger.

Alors oui, ce livre m'énerve parce qu'il égreine les "c'est pas bien" sans jamais donner de début de commencement de solutions, les "c'était mieux avant" (la sécu, les retraites, le CNR (sic !)) sans jamais avoir l'honnêteté d'admettre que les modèles portaient (et portent toujours) en eux leurs limites, parce qu'il est superficiel, décontextualisé (à l'origine du livre il y a un discours sur le plateau des Glières), absolument pas analytique, générateurs d'amalgames (la résistance contre le nazisme c'est tout de même autre chose que des préoccupations justifiées ou non sur le pouvoir d'achat, non ?) et que, de très loin, les pages les plus intéressantes sont les 4 dernières (sur 24 !) : celles des renvois et de la bio de l'auteur.

Celles et ceux qui me connaissent et me lisent régulièrement le savent : on ne peut vraiment pas m'accuser de désintérêt envers la seconde guerre mondiale. Cette période de notre histoire me fascine même et me bouleverse. Cela dit, je me garderais bien de considérer qu'elle constitue un modèle transposable à notre époque.

Selon moi les louanges tressées à ce livre sont inquiétantes et démontrent la vacuité conceptuelle et analytique de l'époque. Alors, si des ados font des sittings ici ou là en s'autoproclamant indigné(e)s, tant mieux, c'est de leur âge et si j'avais eu 20 ans aujourd'hui, j'aurais peut-être sali mon jean sur les trottoirs de Bastille mais après, concrètement, qui fait quoi ?

En fait, je trouve le bouquin limite dangereux de par ses amalgames et son absence de mode d'emploi (si ce n'est une vague mise en garde anti terroriste condamnée non pas tant moralement que pour son inefficacité !).

En outre, Stéphane Hessel semble insconscient d'un paradoxe de taille : lui qui appelle à l'indignation collective et pacifique ne cesse d'illustrer son propos par des références à la résistance et, sauf erreur ou ommission de ma part, la seconde guerre mondiale était tout de même vaguement belliqueuse ! J'aurais attendu plus de mémoire et de précaution de la part d'un homme qui a été torturé par les allemands, a passé environ un an dans plusieurs camps nazis où il a failli être pendu. Et vous, vous souvenez-vous comment les allemands appelaient les résistants ?

Deux liens plus intéressants que le livre lui-même

http://fr.wikipedia.org/wiki/Indignez-vous_!
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-5-preceptes-d-indignez-vous-de-stephane-hessel_948929.html

Conclusion

Plus j'avançais dans la rédaction sans filets de ce message plus je m'indignais... comme quoi, quelque part, ça marche...

10 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Pas davantage convaincue que toi par ce minuscule ouvrage, dangereux comme tu le dis !

Ton "Et c'est tout ? " aurait pu sortir. Je n'ai pas retenu le mien... Il paraît que je suis snob de ne pas aimer... mouais... si aimer ce que tout le monde encense sans l'argumenter, c'est être normal, alors je suis snob !

Ma lettre à l'auteur est assez mordante : http://www.desgalipettesentreleslignes.fr/archives/2011/05/15/21134535.html

Cynthia a dit…

Contradictoire et inconsistant ? Mmmh je passerais bien mais comme on me l'a récemment prêté et qu'il n'est pas bien long, je m'y frotterai bien un de ces jours...

DF a dit…

Affaire à suivre chez moi aussi, vu que l'opuscule est sur ma PAL. Mais je crains d'avoir une réaction similaire à la tienne.

Thais a dit…

Même réaction que la tienne.je ne comprends pas l intérêt pour ce livre plein de lieu commun

Cécile Qd9 a dit…

@ Thais : et moi qui m'attendais à recevoir plein de commentaires zindignés un peu dans le style de ceux que j'avais reçus suite à mon message sur les 50 piges de Michael Jackson... A lire vos commentaires, je me demande qui l'a aimé au final...

Lili Galipette a dit…

Qui l'a aimé ? 150 000 lecteurs à en croire les critiques...

Mais les lecteurs ont-ils aimé ou sont-ils tous fiers d'avoir achevé le livre ? Venir à bout d'un "essai" de 15 pages, ça force le respect non ?

Bon, ok, je suis mauvaise langue...

zarline a dit…

Je rejoins tout à fait le groupe des "c'est tout?". J'ai trouvé ça très simpliste et superficiel et je me suis faite les mêmes réflexions que toi sur plusieurs passages où j'avais l'impression de lire les pensées d'un ado et sur l'apologie de la résistance ET de la non-violence en moins de 20 pages. Bon, au moins ce livre fait réfléchir, preuve en est ton billet très complet et argumenté. Au final, n'est-ce pas le but? Je serais curieuse de voir l'effet sur une classe d'ados avec un débat en classe.

Antoine a dit…

Parfaitement d'accord avec toi ! J'en avais d'ailleurs écrit un article critique (et engagé comme toujours sur mon blog) il y a 6 mois après avoir lu l'ouvrage ! ;)

http://just4kiss.blogspot.com/2011/01/indignez-vous-vraiment.html

Unknown a dit…

D'accord avec ce que je lis précédemment en un sens, car Hessel ne propose pas de pistes concrètes. Je crois que c'est à chacun de réagir à sa juste valeur pour faire évoluer les choses qui nous semblent inadaptées.
Je suis prof d'anglais en banlieue, dans un collège dit difficile, et je trouve que c'est ma manière à moi de faire évoluer les choses,d'apporter comme on dit, ma pierre à l'édifice, comme on le fait tous d'une manière ou d'une autre. C'est en transmettant des savoirs qu'on partage et qu'on lie les gens.
Par contre,
.je trouve le livre utile. Je pense qu'il est préférable d'écrire un court livre sans "mode d'emploi", comme disent certains, avec pour message de rester vigilants quant aux incohérences qui nous entourent, que rien du tout.
. Qu'il est toujours mieux de lire des livres que certains taxeront d'inutiles, que de ne rien lire.
. Que la lecture et l'écriture permettent de transmettre et donc malgré tout d'éveiller. Même si le propose d'Hessel est angeliste (d'après certains), je pense que son expérience est bonne à lire et ses conseils avec.

Unknown a dit…

Par ailleurs, c'est le livre de Hessel qui a constitué l'"etincelle" qui a fourni le feu des indignés en Espagne au printemps dernier, ce qui prouve l'utilité d'un tel livre. Même si la "révolte" espagnole n'a pas encore porté ses fruits, elle a au moins le mérite d'avoir existé, et rien n'est fini.
Je trouve que dire que le livre d'Hessel est inutile et plat, est un propos de "bobo" en soit.
C'est grâce à ce type de livre que l'on peut prendre conscience de certaines choses et réagir progressivement. La révolution, en ce qui nous concerne, ne passe pas forcément par les armes, mais par les mots. Et si les gens sont descendus dans la rue en espagne, qu'attendons nous? On attend, c'est bien ça le problème, car beaucoup d'entre nous disent que les livres comme celui d'Hessel n'apportent rien.