mercredi 5 janvier 2011

Un roman français (de Frédéric Beigbeder)

Bonjour aux romancier(e)s français(es)
Bonjour au lectorat international
Bonjour aux zotres


A noter : la couverture du livre représente Frédéric Beigbeder himself, peint par une artiste qui sera assassinée par son mari quelques temps après avoir réalisé ce portrait.

Mon fidèle lectorat le sait, on ne peut me soupçonner d’anti-beigbedisme primaire dont j’ai déjà lu et aimé 4 romans (disons 3) et un recueil de nouvelles. J’ai même écrit de très gentilles choses à propos de cet auteur parfaitement en prise avec son époque, de son ton désabusé, de son autodérision lucide, de son incomparable sens de la formule. Ce que j’ai notamment apprécié chez Frédéric Beigbeder, c’est qu’il n'avait pas de prétentions littéraires, qu'il avait conscience de ses limites et ne se prenait donc pas pour un écrivain… enfin… jusqu’ici.

Le sujet

Frédéric Beigbeder
, sa famille, son enfance et sa garde à vue.

Mon avis

On a pu lire ici ou là que ce livre était le meilleur de l'auteur. Je suis trèèèèès loin de partager cet avis. Pour moi c'est de loin le plus mauvais et le fait qu'il ait eu le prix Renaudot 2009 me plonge dans un abime de perplexité navrée proche de la sidération.

Un roman français. Rien que ça ! Dès le titre tout est dit. Ca sonne vieux, ça claque comme du d’Ormesson, comme du postulant à l’immortalité en habit vert sous coupole (sous cloche pour meilleure conservation ?). Ca dégouline le narcissisme complaisant et, alors que ce n’est absolument pas un trait de caractère inédit du personnage, c’est la première fois qu’il me gêne dans un de ses livres (lors de ses apparitions télévisuelles ou publiques c’est un autre débat). Ca suinte l’ambition littéraire et le problème est que Beigbeder n’a ni la plume, ni la culture, ni la matière pour celle-ci.

Certes, le roman se lit vite et sans désagrément mais cela ne suffit pas à éviter l’ennui. Certes, l’auteur est loin d’être un imbécile décérébré mais cela ne garantit pas la profondeur et la densité. Certes, Beigbeder n’est pas le/la premier(e) à se regarder le nombril et à écrire à la première personne du singulier mais certain(e)s parviennent à donner à leur histoire personnelle une dimension universelle (tiens, au hasard, tout Ernaux, le dernier Carrère), Beigbeder n’y parvient jamais. Bon, je rectifie : « quasiment jamais », les très rares exceptions se limitant aux quelques paragraphes où il évoque sa fille. Si ces passages fonctionnent c’est paradoxalement (ou pas) parce que ce sont ceux où il se regarde le moins écrire, ce sont les plus intimes, les plus impudiques mais les moins narcissiques car les moins fabriqués. Le reste du temps est partagé entre l’auto-analyse geignarde et l’apitoiement victimiste. Ca pourrait donner à peu près ce qui suit.

Ceci n'est (évidemment) pas un extrait du livre

Snif, je suis un pauvre adulescent riche qui n’a aucun souvenir de son enfance dorée et c’est sûrement pour ça que j’écris (ben soit mais pourquoi publier ?). Re-snif, je complexe par rapport à mon frère si beau, si intelligent, si parfait et c’est pour ça que je fais n’importe quoi n’importe comment avec n’importe qui n’importe où. Trop méga-hyper-snif-injuste, j’ai fait de la garde à vue (moi ! Vous vous rendez compte ?), tout ça parce que seulement j’avais rien fait de grave que juste me taper un rail de coke sur un capot de bagnole dans la rue avec un pote juste pile-poil manque de bol au moment où des flics passaient et moi, voyez-vous, je ne cours pas vite.
Bon, j'ai hyper mal dormi mais quand même, reconnaissons que y’a du bon. Hop hop hop, ça me met illico dans la liste des victimes du système, de ceux qui savent de quoi ils causent quand ils parlent prison, conditions inhumaines, horreur de la geôle et en plus, juste parce que je suis connu, on m’en a fait vachement plus baver que les zotres.
Ca me fournit un côté bad boy sans doute pas dégueu pour chopper de la belette (et j'aime que les filles m'aiment), ça fait parler de moi dans la presse (et bon, avouons que j’aime ça et que je suis plutôt doué pour ce sport), ça me donne une idée de bouquin à bon compte et surtout, comble du luxe, mieux que la légion d’honneur (qu’on vient de donner à mon frangin mais qu’un incapable comme moi n’accrochera jamais à son revers Hugo Boss), ça me classe illico dans la catégorie des auteurs maudits et rebelles, que je ne me retiens pas de citer complaisamment à diverses reprises. Eh oui, carrément, je n’hésite pas, je me compare à Villon, Wilde, Genet, Sade, Soljenitsyne, Voltaire et plein d’autres ! La liste n'en finit plus ! Elle me grise. J'adore cette cohabitation flatteuse, j'en ronronne d'aise. Pourquoi je me gênerais ? sont morts !

La taule et le ridicule

A croire qu’il a appris tout Wikipedia par cœur… Que du beau monde, du carré VIP de la taule, du happy few de l’incarcération plumitive. Je ne me souviens pas mais j'espère qu'il n'a pas oublié Semprun qui, lui, ne ferait pas tâche dans cet inventaire même s'il est heureusement encore bien vivant. Mais sauf erreur ou omission de ma part, Beigbeder ne joue pas vraiment dans la même catégorie que les auteurs auquel il s’associe sans complexe. Ni côté talent, ni côté motif d’incarcération. A ce que je sache, Beigbeder n’a été embastillé ni injustement, ni pour le courage de ses idées ou de ses actes, pas même pour un truc affreusement dégueulasse façon ennemi public n°1 imprévisible, dangereux et vicieux (ça, à la limite, on peut lui accorder...). Il a passé 2 nuits à salir son cashemere en claquant des dents dans un endroit humide et puant. So what ? Il n'est ni Mandela, ni Mesrine, ni Al Capone, ni Henri Charrière alias Papillon. Il a juste été trop lent pour ne pas se faire attraper en plein flagrant délit de farinage nocturne de museau.

Pas glorieux. Dès lors ce qui domine à la lecture de ce roman c’est un double sentiment d’agacement et de ridicule, ridicule auquel il n'a d'ailleurs pas échappé un certain 23/09/09 lors d'un Litterary death match organisé au Reservoir auquel il participait aux côté de Razane, Monnehay et Jaenada (irrésistible lecture de la scène de l'Hyppopotamus de Plage de Manaccora 16h30). Frédo la star était sensée débuter la soirée et lire un passage de son roman français, mais il est arrivé en retard (de 2 heures ?), sans son bouquin qu'il a qualifié de merde (je suis finalement moins sévère que lui) quand une groupie lui a tendu son exemplaire. De toute manière, la lecture était ce soir là une activité hors de sa portée : visiblement au dessus de ses moyens pour cause d'ébriété (avouée) et au dessous de ses ambitions en matière d'improvision. Cette dernière s'est avérée pitoyable, limite pathétique, entrecoupée de ces rires niais et solitaires que provoque parfois l'excès d'alcool. Ca m'a saoulée.

De Beigbeder lisez plutôt

Nouvelles sous extasy sauf si vous avez plus d'une demie-heure devant vous.
99 francs sauf si vous préférez le titre 6 euros.
Vacances dans le coma sauf si vous ne sortez jamais après 18h00.
L'égoïste romantique sauf si vous êtes allergique au name dropping.
et surtout L'amour dure 3 ans sauf si vous venez de convoler.

Conclusion

Un roman français, certes, mais parfaitement dispensable.
Accessoirement, j'adore cette hilarante
critique de Didier Jacob dans le Nouvel Obs trouvée via Wrath.

12 commentaires:

emmyne a dit…

Ce roman, je n'envisageais pas un instant de m'y fourvoyer mais il faut lui reconnaître un bel effet secondaire...ton billet ( qui me rappelle d'ailleurs qu'il faut que je lise L'amour dure 3 ans :)

Bénédicte a dit…

je trouve ton avis très dur Je l'ai bien aimé ce livre même s'il a quelques défauts que tu relève très bien dans ton billet

Bouh a dit…

Beigbeder est un personnage que j'aime bien. J'aime son côté désinvolte bobo dandy & cie. Pour être sûre de mon coup, je lirai plutôt un des romans que tu cites en bas de ton article plutôt qu'"Un roman français"

mazel a dit…

"c'est de loin le plus mauvais", dis-tu... voilà qui ne m'encourage pas beaucoup à le lire... ce cadeaux de noël 2009...
bises

ficelle a dit…

Ce qui est écrit en italique, c'est un vrai extrait ?
Si oui, j'en reste ébahie…

Cécile Qd9 a dit…

@ Emmyne : mais je pense qu'il faut malgré tout lire Beigbeder... mais pas celui-la

@ Bénédicte : pas si dur que ça : voir l'intro et mon conseil de lire les autres romans et nouvelles de cet auteur

@ Bouh : L'amour dure 3 ans est mon préféré

@ Mazel : ce n'est que mon avis pas nécessairement partager

@ Ficelle : ah non, ce n'est pas du tout un extrait... d'où le conditionnel qui le précède

Anonyme a dit…

Merci, je n'ai eu, jusque là, d'occasions de parler du livre qu'avec des lecteurs qui ont aimé, je commençais à me demander si quelque chose ne tournait pas rond chez moi...
Sinon, je ne connaissais pas l'expression "choper de la belette", j'adore !
SAS

ficelle a dit…

Autant pour moi, c'était écrit ! J'ai eu peur quand même, mais bon a priori ça le fait pas… ;-)

Alex Mot-à-Mots a dit…

C'est sûr que ça tranche par rapport à ses autres romans.

Faust'in a dit…

C'est le livre qui m'a permis de pouvoir penser qu'un jour il allait enfin changer ... excuse moi, mais je le trouve rasoir ce type là.

liliba a dit…

C'est bien, ça me conforte dans mon idée : je ne le lirai pas !
J'ai lu 99F que j'avais détesté, donc... je reste sur ma mauvaise impression !

Fab a dit…

c'est mon premier et mon dernier bec-BD. j'en ai commencé d'autres que je n'ai pu achever, ici, je me suis forcé et... que dire? avant de lire tous vos avis, j'hésitais à caractériser cet "écrivain" ("je suis écrivain", "si Michelle m'avait aimé, je n'aurais pas écrit" - quelle garce, cette Michelle, au fond - etc), j'hésitais, disais-je entre deux zones du corps humain: le nombril et le trou du cul (dont il nous affuble d'emblée, histoire d'assumer son hérédité bourgeoise-soixante-huitarde, sans doute).
Ben, j'ai laissé tomber le nombril, on n'en est plus là :-)